À l'approche des élections, plusieurs ont les yeux rivés sur les prédictions des sondages. C'est ce qui se passe à l'approche de l'élection présidentielle américaine qui se tiendra mardi, d'autant plus qu'il y a aux États-Unis un nombre impressionnant de sondages publiés.

Notre attention est particulièrement attirée par ce qu'on appelle les tracking polls, ces sondages qui publient chaque jour une moyenne cumulative de sondages réalisés au cours des trois à sept jours précédents, ce nombre variant selon les firmes. Le premier but de ces sondages est d'attirer le lecteur intéressé vers le média commanditaire. Passionnés par la campagne, nous devenons accros aux sondages quotidiens.

Pouvons-nous nous fier totalement à ces sondages ? Les sondages donnent-ils tous la même image, fiable, du déroulement de la campagne, quelle que soit la manière dont ils ont été réalisés ?

Les sondages ne se font pas tout à fait de la même manière aux États-Unis et au Canada. Les sondages web constituent près de la moitié des sondages publiés aux États-Unis. Toutefois, ils y sont le plus souvent réalisés avec des échantillons probabilistes alors qu'ils sont réalisés ici avec des panels de volontaires. Les sondages téléphoniques avec interviewer constituent près de 40 % des sondages aux États-Unis alors qu'ils sont pratiquement disparus dans les petits marchés comme le Québec. Enfin, les sondages par téléphone automatisés (IVR), qui constituent le reste des sondages, doivent être complétés par des sondages web auprès de panels de volontaires parce qu'il est interdit d'appeler des téléphones cellulaires de façon automatisée aux États-Unis.

Une analyse des résultats des sondages selon le mode d'administration montre que tant les sondages web que les sondages par téléphone avec interviewer donnent un appui à Hillary Clinton de deux points plus élevé que les sondages automatisés de type IVR. De plus, les sondages utilisant des moyennes cumulatives (tracking) publiées chaque jour donnent systématiquement trois quarts de point de moins à Hillary Clinton.

Ces effets combinés font que les sondages quotidiens faits de façon automatisée mettent la plupart du temps les deux candidats principaux à égalité. Ainsi, notre appréciation de la situation dépend de la manière dont le sondage que nous examinons a été effectué. Il faut aussi souligner que le sondage quotidien du Los Angeles Times utilise une méthodologie très éloignée de la norme, avec un seul échantillon interviewé tout au long de la campagne et une question demandant au répondant d'évaluer la probabilité qu'il vote pour chacun des candidats. Ces sondages donnent également les deux candidats à égalité.

À qui se fier alors ? Plusieurs sites colligent l'ensemble des données de sondages et font diverses analyses, basées pour la plupart sur des moyennes pondérées des sondages qui tiennent parfois compte de la réputation et de la performance antérieure de chaque firme. Pour ma part, j'utilise une méthode différente, basée sur la régression. Cela dit, toutes les méthodes d'estimation, bien qu'elles soient basées sur des hypothèses différentes, donnent des résultats relativement similaires en ce moment.

Alors que les débats avaient permis à Hillary Clinton de distancer Donald Trump au cours du mois d'octobre, cet effet s'est maintenant estompé en grande partie. Toutefois, elle est quand même un peu plus en avance sur Donald Trump qu'elle ne l'était au début de septembre.

Si on inclut les intentions de vote pour tous les candidats, les appuis à Hillary Clinton se situeraient à 48 %, ceux à Donald Trump, à près de 45 %, et ceux aux autres candidats, à 8 %. Si on compare seulement les deux candidats principaux, l'appui à Clinton se situe à environ 52,3 %, contre 47,7 % pour Trump. Il faut toutefois garder à l'esprit que l'appui à Clinton est tiré vers le bas par les sondages téléphoniques automatisés.

Et s'il y avait une « spirale du silence » qui impliquait que l'appui à Donald Trump soit sous-estimé, un peu comme ce qui arrive au Parti libéral du Québec dans les élections québécoises ? Il s'agit d'une hypothèse plausible. On constate également - comme au Canada et ailleurs - que la proportion de supposés indécis varie énormément selon les firmes de sondage - entre 1 % et 13 %.

J'ai donc fait l'hypothèse d'une répartition non proportionnelle des discrets - ceux qui ne se prononcent pas ou disent qu'ils n'iront pas voter - visant à la fois à corriger une possible sous-estimation de Donald Trump et à tenir compte de la variation dans la proportion de discrets dans les divers sondages. Lorsque 67 % des discrets sont attribués à Donald Trump, 33 % à Hillary Clinton et aucun aux autres candidats, l'avance de Hillary Clinton apparaît plus faible - deux points seulement -, mais toujours présente. Cela me semble l'hypothèse la plus pessimiste pour les partisans de Hillary Clinton. Comment cela se traduirait en grands électeurs est une autre histoire...

* Vice-présidente, présidente élue, World Association of Public Opinion Research (WAPOR)