Je ne m'habituerai jamais. Les visites royales m'irritent au plus haut point. Et je m'explique mal l'attention complaisante que leur accordent de nombreux médias, en particulier Radio-Canada.

Les visiteurs sont accueillis en triomphe, on les suit partout, on les chouchoute, on recueille leurs états d'âme, on s'amuse de leurs cabrioles, on n'en finit plus de commenter leurs moindres propos, leur tenue, leur élégance. Ils sont si beaux, si aimables, si charmants et néanmoins si accessibles. Ils prononcent même quelques mots de français ; c'est comme s'ils étaient des nôtres. Ils s'intéressent à l'environnement, aux handicapés, aux défavorisés. Et quel sens de l'humour ! Ils sont parfaits. Pourquoi nos politiciens ne s'en inspirent-ils donc pas ?

La réalité, hélas, c'est qu'au-delà de la plaisante chorégraphie qu'on nous donne à voir, ces visites sont les vestiges de ce que l'Occident a fait de plus déshonorant au cours des cinq derniers siècles en infligeant à la moitié de la planète un colonialisme extrêmement brutal, en violation radicale avec son credo humaniste issu de la Renaissance et des Lumières.

On parle ici de despotisme, d'esclavage, de racisme, de pillages, de tortures, de génocides. Et au coeur de ces infamies, qui trouve-t-on sinon la Grande-Bretagne, qui en a été l'un des principaux acteurs et en a en quelque sorte dessiné le modèle ?

C'est un regard de mépris qu'on devrait porter sur ces figures d'opérette. Un pays décent s'honorerait en leur fermant ses frontières.

Le hasard a justement voulu que, dans un des nombreux bulletins télévisés faisant longuement le point sur la dernière visite royale, la séquence qui lui était consacrée a été suivie d'un reportage sur les bombardements d'Alep. Fâcheux enchaînement ! Mais à bien y penser, on peut voir là plus qu'une simple coïncidence.

Il se trouve en effet que dans la plupart des pays du Moyen-Orient présentement affligés par la guerre, par le terrorisme ou par des menaces d'éclatement, on relève sous une forme ou sous une autre l'empreinte de la Grande-Bretagne, plus précisément l'héritage de sa politique coloniale. Comme dans d'autres régions de son empire, elle s'est employée à créer là des États branlants rassemblant des ethnies querelleuses, dont les frontières étaient dictées par ses seuls intérêts.

UNE HISTOIRE PAS TOUT À FAIT RÉVOLUE

Le phénomène est troublant et il n'appartient pas tout à fait à une histoire révolue. On ne remarque pas assez que les monarchies associées au colonialisme occidental survivent aujourd'hui dans une majorité de pays européens. Certes, elles n'exercent plus le pouvoir, mais elles demeurent très influentes dans la sphère où elle s'est repliée.

Comme le montrent la vogue de la presse people, des biographies, des documentaires et des adaptations cinématographiques, il y a un intérêt persistant, sinon une fascination pour les têtes couronnées (ou même découronnées). Elles font rêver et elles séduisent d'autant plus qu'elles ont perdu la capacité d'opprimer et de spolier leurs sujets. Étant éloignées des affaires, elles n'ont plus la possibilité de les pervertir, on les croit donc vertueuses.

Il vaut la peine de s'y arrêter car, en d'autres temps, c'est la démocratie qui faisait rêver. Mais là où elle s'est bien implantée, elle est un peu tenue pour acquise. En intégrant la vie quotidienne, elle s'est banalisée. Elle a aussi montré ses limites et parfois ses échecs. En somme, entre la monarchie et la démocratie, le combat est devenu inégal : la première fait des ronds de jambe au jardin, l'autre laboure dans les ronces et la terre forte - le danger est d'oublier que c'est de là que vient le grain...