On parle de développement durable et de transition énergétique. On s'oppose aux projets de pipeline et à l'exploration pétrolière. On rêve d'électrifier les transports. Mais on ne réalise pas, pendant ce temps, que les Québécois investissent des sommes record dans la congestion.

L'ampleur du phénomène passe inaperçu, il est pourtant impératif d'en parler. Depuis la récession de 2009, les ventes d'automobiles au Québec ne cessent de grimper, à un taux de croissance annuel moyen de 4,2 %... bien au-delà de la croissance de l'économie ou de la population.

Et les Québécois délaissent les voitures : il s'en vend de moins en moins année après année, alors que les « camions légers » (véhicules utilitaires sport et camionnettes) prennent le dessus. Les ventes de voitures neuves ont chuté de 30 000 unités entre 2009 et 2015, mais ont augmenté de 85 000 unités pour les camions - parce que c'est ainsi qu'il faut les appeler. En 2015, les ventes de véhicules neufs ont représenté 10 % de la taille du parc, soit 450 000 nouveaux véhicules sur les routes.

Les quelque 6000 voitures électriques vendues par an sont parfaitement anecdotiques.

Les Québécois ne veulent tout simplement plus de voiture, électrique ou non. Ils veulent un camion.

La tendance est telle que 2016 s'annonce encore comme une année record : encore plus de camions neufs, encore moins de voitures neuves et une facture encore plus haute. Après les 15 milliards de dollars dépensés en 2015, nous nous dirigeons vers 16,5 milliards dépensés pour des véhicules neufs en 2016. C'est l'ajout, en un an, du budget complet de la STM, qui est de 1,5 milliard.

UNE MYRIADE DE PROBLÈMES

On se dit en période de rigueur budgétaire. On sait que le transport en commun a besoin de plus d'argent. On débat sans fin sur Uber et on refuse que les véhicules en libre-service stationnent librement à Montréal. Mais on ne dit rien sur le fait que les Québécois trouvent le moyen de dépenser encore plus d'argent pour le problème routier. Un problème qui est en fait une myriade de problèmes : les gaz à effet de serre, la pollution de l'air, les accidents, le bruit, le coût des infrastructures et de la corruption en construction, le manque d'activité physique, l'endettement croissant des ménages, l'étalement urbain... et la liste pourrait s'allonger.

Il est temps d'amorcer un semblant de changement, de notre développement éphémère basé sur un char toujours plus gros, toujours à changer, à un développement durable - ou appelez-le comme vous voudrez : transition, économie verte, sobriété carbonique. Le nom importe peu, il faut changer quelque chose dans ce que nous faisons, pas seulement dans notre discours.

Ce changement ne va pas se réaliser avec des bornes de recharge électriques inutilisées et désuètes presque aussitôt installées. Ni à coup de rabais sur les véhicules électriques, dont si peu de gens veulent. Il faut réaliser que le changement va passer par des contraintes.

Comme pour le tabac, il va falloir taxer, réglementer et limiter la publicité pour les gros véhicules.

Rien ne doit être interdit, mais il faut avoir le courage de mettre fin à cette tendance qui plombe notre économie, affecte notre environnement et qui n'apporte aucune contribution sociale à part rehausser des ego individuels, dans des véhicules privés sur des routes publiques.

La classe politique entière doit trouver la force de mettre en place des politiques de transport qui sont cohérentes avec nos impératifs énergétiques et environnementaux. La population doit soutenir ces nouvelles orientations, et pour de bonnes raisons : nous serons collectivement plus riches, nos rues moins congestionnées et plus sécuritaires, tout en faisant des gains environnementaux. Il est temps de cesser d'investir dans les problèmes, pour gagner plus dans les solutions.