La récente entente sur Uber est malheureusement une victoire à la Pyrrhus et nous seront forcés de refaire le débat, car nous avons esquivé le noeud du problème qui est l'adaptation de nos lois, porteuses de nos choix de société, à l'économie du partage et à la révolution numérique. Or, pour faire cela, il faut bien plus qu'un arbitrage entre intérêts privés, il faut un réel débat de société auquel nos institutions et notre société civile doivent prendre part.

La révolution industrielle du XIXe siècle a sorti nos sociétés de l'artisanat en modifiant profondément l'organisation du travail. Au fil des décennies qui ont suivi ces transformations, chaque société a fait ses choix pour modeler relativement à son goût cette industrialisation. Au Québec, cela nous a permis d'établir le modèle québécois qui est maintenant défendu avec fierté et orgueil par plusieurs. Pourtant, à ses premiers jours, il aurait été bien difficile de prévoir que l'industrialisation favoriserait l'établissement de sociétés plus justes et plus solidaires.

Est-ce que la perturbation de la révolution numérique qui pointe à l'horizon a le même avenir que la révolution industrielle ?

Nul ne le sait, mais on peut être certain que l'organisation du travail sera, une fois de plus, chamboulée. Qui aurait dit il y a 40 ans que les cafés seraient le bureau pour plusieurs et que le papier serait appelé à disparaître ? Alors, il devient impératif que nous soyons prêts à façonner ces chamboulements pour s'assurer qu'ils soient fidèles à nos choix de société.

Pourtant, nous continuons d'errer en tentant de conformer à la pièce cette nouvelle économie à des règles administratives qui semblent être à son antipode. Dans les faits, ces tentatives nuisent au modèle québécois et à l'État de droit, car elles laissent transparaître un simple refus de l'économie du partage soit par incompréhension, soit par opportunisme économique ou politique.

PRÉCURSEURS D'UNE RÉVOLUTION

Cela favorise un climat de confrontation contraire à la concertation qui est pourtant propre au Québec et érode l'autorité de la loi. L'entente sur Uber semble être loin d'avoir calmé le jeu, et le gouvernement du Québec, tout comme la Régie du logement, semble impuissant devant Airbnb malgré une nouvelle législation. Donc, sans approche globale et durable des gouvernements, ces conflits sont appelés à croître, car Uber et Airbnb ne sont que les précurseurs d'une révolution numérique bien en marche.

Il ne faut donc pas se laisser freiner par la colère de certains intérêts privés et il faut aborder de front des questions nécessaires pour que notre État puisse répondre réellement aux besoins d'une économie numérique.

Comprenons-nous bien : peu de gens souhaitent, moi le premier, que cette révolution numérique et l'économie du partage riment avec un Far West moderne où chacun fait ce qu'il veut quand il le veut sans se soucier des conséquences. Cependant, il est possible d'espérer un débat intelligent, global et informé qui nous offrirait d'autres solutions que le statu quo.

Pour réaliser cela, il nous faut compter sur une classe politique prête à prendre un leadership désintéressé pour que nous en arrivions à des solutions plus consensuelles. Or, là est le problème, car, peu importe le parti, les politiques semblent être à la remorque.

Paradoxalement, chaque parti peut compter sur de jeunes élus au fait de cette révolution numérique qui pourraient exercer ce leadership, notamment l'actuelle ministre de l'Économie et de l'Innovation du gouvernement québécois. Il serait temps qu'on leur laisse plus de place. Cela, à tout le moins, nous épargnerait les commentaires ridicules tels que celui du ministre Lessard sur la reproduction des hamburgers qui témoignent clairement d'une incompréhension face aux changements que vit notre société.