Monsieur le premier ministre du Québec,Je voudrais profiter de la tenue des Journées de la persévérance scolaire 2016 pour vous dire ce que je pense de votre façon d'administrer la question de l'éducation au Québec. Convenons d'entrée de jeu que si les enfants du Québec persévèrent davantage à l'école, il serait indécent que votre gouvernement s'en attribue le mérite.

En arrivant au pouvoir, vous avez clamé bien haut que vous alliez vous en tenir aux « vraies zaffaires ». Cela voulait dire que, pour atteindre le déficit zéro, vous alliez procéder à des coupes élégamment appelées « paramétriques » qui consistent à couper sans discernement la même chose partout pour ne pas faire de jaloux ni d'envieux en vue de prochaines élections, la seule exception étant vos semblables, les médecins, qui ont été choyés.

À force de poursuivre cette obsession de vos « vraies zaffaires », vous avez complètement perdu de vue les vraies affaires en éducation. Souffrez donc que je vous rappelle ce qu'elles sont. Les vraies affaires en éducation, Monsieur, c'est, par exemple, la situation d'un Québécois sur deux qui n'est pas assez lettré pour se défendre contre toutes formes d'exploitation, pour faire valoir ses droits et pour s'épanouir convenablement. Au départ, cela aurait dû vous être une situation intolérable et vous auriez dû en faire la priorité absolue.

Les vraies affaires en éducation, Monsieur, c'est encore le travail acharné des bénévoles et instances régionales de concertation sur la persévérance scolaire.

Ce sont ces gens-là qui ont fait que la poursuite d'une scolarisation optimale pour tout un chacun soit devenue la responsabilité de toutes les ressources d'une région donnée.

Les vraies affaires en éducation, Monsieur, c'est aussi l'action concertée, engagée et inspirée d'une soixantaine d'organismes communautaires qui travaillent pour et avec les jeunes à risque. Une action comme celle que porte à bout de bras le Regroupement des organismes québécois de lutte au décrochage (ROCLD). Le saviez-vous, Monsieur le premier ministre, ce sont des passionnés qui, dans des conditions souvent pénibles, travaillent en amont et en aval de l'école pour la soutenir, la compléter et y suppléer à l'occasion ? Non, vous ne le saviez pas. Ces gens-là doivent, de surcroît, consacrer une trop grande partie de leur précieux temps à trouver du financement pour se faire dire en fin de compte qu'il n'y aurait pas de renouvellement du tout, ou que leur maigre pitance serait « dégraissée » d'un 40 ou d'un 50 %. C'est à la fois inconvenable et révoltant.

Les vraies affaires en éducation, Monsieur, c'est enfin l'extraordinaire projet de l'Éco Réussite mis de l'avant par l'ABC des Hauts Plateaux de Montmagny-L'Islet. Dans une région qui pète les cotes les plus élevées de défavorisation dans l'échelle de votre ministère, où la majorité des gens sont sous-scolarisés et analphabètes fonctionnels et où le vrai chômage dure si longtemps qu'il en épuise l'admissibilité à l'assurance emploi et au BS, les intervenantes de ce projet travaillent en amont de l'école, avec les enfants de 0-8 ans et leur famille, à combler le déficit de préparation à l'école et d'éveil dont souffrent ces enfants pour qu'ils puissent entreprendre plus facilement une scolarisation libératrice des plusieurs contraintes existentielles.

Grâce à un train de 17 mesures tout aussi ingénieuses et efficaces les unes que les autres et dont certaines rejoignent même les parents, voire le conseil municipal des quatre petites localités concernées, ces enfants pourront acquérir plus facilement l'outil par excellence de leur émancipation, soit la capacité d'apprendre à apprendre tout au long de la vie. C'est la plus belle réalisation d'un véritable « chance égale pour tous » que j'ai vue de toute ma carrière.

Je vous mets au défi de me recevoir pour que je puisse vous expliquer plus en détail pourquoi tout le monde y gagnerait à ce que vous déposiez tout de suite votre couperet et que vous redonniez espoir à ces gens de partage et de solidarité qui apportent une contribution exceptionnelle au mieux-être de toute la société québécoise. Persévérer dans cette attitude nihiliste, c'est un geste suicidaire qui risque de conduire les générations montantes sous-scolarisées au bord du gouffre ! C'est à croire que vous ne saviez pas non plus qu'Abraham Lincoln a déclaré, un jour : « Si vous trouvez que l'éducation coute cher, essayez l'ignorance ! »