Dans les pays économiquement développés, la croissance économique constitue la préoccupation première. Si la croissance est au rendez-vous, il se dégage un climat positif et un sentiment que la marche vers le progrès se poursuit. Tout tend alors vers le maintien de l'ordre établi, les pressions pour du changement demeurant limitées.

Dans les pays économiquement développés, la croissance économique constitue la préoccupation première. Si la croissance est au rendez-vous, il se dégage un climat positif et un sentiment que la marche vers le progrès se poursuit. Tout tend alors vers le maintien de l'ordre établi, les pressions pour du changement demeurant limitées.

Par contre, dès que la croissance fléchit, l'inquiétude s'installe. Si l'économie entre en récession, c'est le pessimisme et les pressions montent pour réclamer l'injection de ressources dans la croissance à court terme. Des injections dans l'économie au moyen d'emprunts, d'augmentation de la dette publique et de coupes en éducation et autres services essentiels. Des gestes non sans conséquences négatives à long terme.

Tous les pays ont comme objectif d'exporter davantage afin de stimuler leur économie et de créer des emplois. En contrepartie, ils ont comme objectif de limiter les importations afin de maintenir une balance commerciale positive. La capacité de la Terre de toujours produire davantage est évidemment limitée. Personne ne peut le nier. Or, les humains consomment déjà plus que ce qu'elle peut produire de façon durable.

Il me semble évident que cette dynamique est insoutenable à long terme. Elle entraîne le monde dans une fuite en avant sans égard aux conséquences.

Aussi, il faut se demander ce qu'il en sera, en termes notamment de dégradation de la nature et d'augmentation des inégalités économiques, alors que la population mondiale est en voie de croître de sept à plus de neuf milliards d'habitants.

Cette vision unidimensionnelle des choses a le grand défaut de reléguer au second rang les exigences d'un développement équilibré et continu entre l'économique, d'une part, et le développement social, culturel et politique, d'autre part. Force est de constater qu'elle a conduit le monde à des déséquilibres majeurs qui ne cessent de s'amplifier. La surexploitation du potentiel de la planète, le réchauffement de l'atmosphère dont nous sommes la cause première et l'accroissement des inégalités économiques en sont les manifestations les plus évidentes.

Au niveau des individus, la dynamique actuelle de croissance donne lieu à des conséquences hautement négatives et indésirables. Elle exerce une pression soutenue vers la consommation, la surconsommation et un endettement excessif. Elle soumet en outre les gens, quel que soit leur âge, à des pressions physiques et mentales de plus en plus difficiles à supporter.

Ce marathon provoqué par l'obsession de la croissance pourrait, à court terme, paraître justifié si l'ensemble de la population en bénéficiait économiquement et en qualité de vie. Mais ce n'est malheureusement pas le cas. L'accroissement de la richesse est largement capté, partout dans le monde, par une infime partie de la population. Le Canada ne fait pas exception. Au cours des 30 dernières années, les inégalités salariales y ont pratiquement doublé.

L'image du 1 % qui s'enrichit pendant que les autres 99 % stagnent et voient leurs emplois devenir de plus en plus instables et exigeants illustre bien cette réalité. L'accroissement des écarts entre les pays et entre les individus conduit à des tensions qui, comme nous pouvons le constater un peu partout dans le monde, sont de moins en moins tolérables.

Pendant que la tranche supérieure continue de s'enrichir, nos gouvernements coupent les emplois et les services en éducation, en santé et services sociaux et dans la formation et le recyclage des personnes.

La croissance économique ne peut plus être la priorité prédominante. Il faut cesser de couper dans les services essentiels. Un meilleur équilibre entre l'économique et le social, le culturel et le politique doit être établi en fonction des besoins de base des citoyens. Aucun pays ni personne ne peut échapper à cette exigence fondamentale.

Toutefois, bien que l'économie de marché soit à bien des égards un système imparfait, elle est de loin le moins mauvais des systèmes. Une réforme afin d'en éliminer les excès est essentielle. Il faut revenir à une économie de marché qui bénéficie à l'ensemble de la population et dans laquelle la responsabilité individuelle et la solidarité ne sont pas de vains mots.

Comment poursuivre un tel objectif ? Cette question se situe au point de rencontre et de profonde divergence entre deux idéologies, le capitalisme et le socialisme. Une question qui comprend, dans notre monde sans frontières, une nouvelle dimension, celle de la concurrence à armes inégales provenant de l'économie dirigée et sans politiques sociales de la Chine et celles des pays émergents. Une concurrence qui, par les pressions qu'elle exerce, accentue les déséquilibres dans les pays occidentaux entre l'économique et le développement humain.

Depuis la crise de 2008, on doit à l'économiste et penseur français Thomas Piketty l'intervention la plus discutée sur la question des inégalités sociales. Selon Piketty, ces inégalités, qui vont en s'accentuant, sont source de tensions et d'actes terroristes inacceptables. Pour corriger la situation, il propose un impôt mondial.

L'idée est intéressante au plan théorique, mais tout à fait irréaliste. Nous sommes loin du jour où les pays vont accepter à l'échelle mondiale de limiter leur souveraineté. À ma connaissance, peu d'autres idées percutantes ont été formulées à ce jour.

Il peut paraître inapproprié d'aborder cette question alors que les perspectives économiques et de création d'emplois ne sont guère positives. Elle ne peut toutefois être toujours reportée, compte tenu de son importance. Voilà un défi qui devrait retenir davantage l'attention, particulièrement chez les économistes.