Jian Ghomeshi a reconnu, sur sa page Facebook, avoir des pratiques sexuelles hors normes. Cependant, d'insister cet animateur radio, celles-ci seraient toujours consensuelles et relèvent de sa vie privée.

Question simple : dans une société démocratique, la violence sexuelle entre adultes consentants est-elle tolérée par la loi ? Les normes juridiques varient selon les pays.

Lors de soirées coquines, peut-on légalement violenter quelqu'un ? Dans un contexte social où le sadomasochisme ose s'afficher, ce sujet renvoie à la question de la liberté sexuelle et de ses limites.

L'État peut-il légitimement intervenir dans la vie privée des gens afin de « normaliser » leurs pratiques sexuelles ? De longue date, les bonnes moeurs d'inspiration chrétienne animent le droit criminel. De nos jours, ce standard s'arrime à des valeurs sociétales surpassant des agissements prudes ou pudiques.

Le droit criminel a vocation de protéger la société. Reposant sur les concepts du libre arbitre et de l'autonomie de l'individu, il fixe les limites d'une conduite citoyenne acceptable.

Au Canada, des voies de fait simples sont commises lorsqu'une personne emploie intentionnellement la force contre quelqu'un, sans son consentement. Cependant, personne ne peut consentir à subir des lésions corporelles. Cette expression comprend une blessure nuisible à la santé ou au bien-être d'autrui, celle-ci n'étant pas éphémère ou triviale. Elle comprend également les blessures psychologiques graves ou importantes.

En 1991, la Cour suprême du Canada a neutralisé l'effet juridique du consentement réciproque des bagarreurs de rue s'infligeant des lésions corporelles. Selon la Cour, fondées sur l'équilibre entre l'autonomie individuelle et quelque intérêt social plus général, des limites de principe sont justifiées.

Contrairement aux combats de rue, certaines activités sportives ont une valeur sociétale importante et utile. Par conséquent, précise la Cour, l'utilisation intentionnelle de la force (consentie implicitement) reste assujettie au respect des règles sportives. Tel est le cas des sports de contact.

En 1995, la Cour d'appel d'Ontario a jugé nulle l'entente convenue entre des partenaires sadomasochistes pour s'infliger une douleur. Selon les juges d'appel, une personne ne peut légalement consentir à une perversité dégradante et déshumanisante. Bref, causer du mal à autrui est moralement mauvais, peu importe qu'il y ait consentement ou non ; le contexte sexuel n'y change rien.

Vu le caractère dangereux de certaines pratiques sadomasochistes, la prudence s'impose. Lorsqu'un comportement témoigne d'une insouciance déréglée et téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui, un partenaire ne peut opposer le consentement obtenu.

Ainsi, en 2013, la Cour du Québec statua que la négligence criminelle exclut un moyen de défense fondé sur le consentement.

En matière de droit à l'intimité sexuelle, la Cour européenne des droits de l'Homme suit sa ligne jurisprudentielle : seules de graves et impérieuses circonstances peuvent justifier une ingérence de l'État. En 2005, la Cour affirma que le droit d'entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d'autonomie personnelle.

Cette faculté peut inclure la possibilité de s'adonner à des activités perçues comme étant d'une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne. Cependant, d'ajouter la Cour, une telle liberté se heurte au respect du partenaire maltraité. Celui-ci doit pouvoir librement choisir les modalités d'exercice de sa sexualité.

Dans un arrêt de principe rendu en 2003, la Cour suprême américaine affirma que, depuis 50 ans, les traditions et les lois du pays font voir une prise de conscience à l'effet que la liberté confère aux adultes une protection quant à leur vie privée en matière sexuelle. L'autonomie personnelle caractérise la liberté ; elle comprend notamment le droit à une certaine intimité. Et la Cour d'indiquer que les relations entre des partenaires du même sexe respectent le concept de dignité.

Adoptée en 1994, une loi fédérale australienne exclut toute intervention étatique lorsque des adultes (18 ans et plus) se livrent privément à des activités sexuelles. Dans la mesure où les adeptes du sadomasochisme respectent la règle du consentement continu, libre et éclairé, et qu'ils agissent dans un contexte intime, sans causer de sérieuses blessures à autrui, ils jouissent d'une immunité de poursuite.

Les réactions, parfois vives, provoquées par l'affaire Ghomeshi portent à réfléchir. Pour une victime d'agression sexuelle, même enfouie, la blessure de l'âme reste dévorante.

Au lourd silence qui accompagne l'inconduite sexuelle, la justice doit établir un juste équilibre entre la protection des victimes et l'autonomie et la vie privée des partenaires sexuels. Puisque la dernière réforme du Code criminel remonte à 1985, le gouvernement fédéral devrait réfléchir et, si nécessaire, agir afin d'actualiser la loi canadienne.