Le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) réagit à la chronique de Francis Vailles, « Analphabètes, les chômeurs ? », publiée dans La Presse+ du 7 janvier. Il nous semble que la situation soulevée par M. Vailles mérite que l'on regarde au-delà des statistiques pour en comprendre toutes les nuances.

Premièrement, les données citées dans cet article sont celles d'une enquête internationale appelée Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), menée par l'OCDE en 2012 dans 25 pays. Lors de la présentation du PEICA et des premiers résultats, les représentants de l'OCDE ont beaucoup insisté pour cesser d'utiliser le niveau 3 (sur 5) comme seuil de compétences nécessaires. Ce seuil minimum, fixé lors de l'enquête internationale précédente (EIACA, 2003), a conduit à des aberrations dans divers pays industrialisés où une large part de la population se voyait soudainement considérée trop peu alphabétisée pour intégrer le marché du travail ou participer à la société. Or, l'essentiel des chiffres mis en évidence dans cet article par rapport aux chômeurs continue d'utiliser ce seuil minimum de compétences, contribuant ainsi à faire dévier le débat sur cette problématique.

Deuxièmement, dans le PEICA, l'enquête a ajouté un niveau inférieur à 1 pour les gens ayant des difficultés plus importantes. Pour ces personnes, un autre test a été effectué. Dans ce contexte, qualifier d'analphabètes fonctionnels les personnes de niveau 2 est fortement discutable.

Finalement, analyser la situation de la littératie au Québec et adopter des solutions uniquement en termes des besoins du marché du travail est un risque majeur pour la société québécoise.

Cette vision étroite nous mène inévitablement à l'exclusion d'une partie importante de la population. La réalité quotidienne des personnes peu alphabétisées est complexe et semée d'obstacles multiples qui rendent difficile l'exercice de leurs rôles de citoyens, de parents, etc.

Une société se doit d'offrir aux citoyens l'accès à une éducation de qualité, inclusive, adaptée à chacun. Les citoyens devraient être en mesure de s'intégrer au marché du travail, mais aussi de prendre soin de leur santé, de consommer sans se faire avoir, de s'informer, d'avoir accès aux services publics, de se divertir, de participer à la vie communautaire, etc. Puisqu'au Québec, plus d'un million d'adultes âgés de 16 à 65 ans sont considérés comme peu alphabétisés, il est impératif que le gouvernement québécois adopte une stratégie nationale de lutte à l'analphabétisme reposant sur une vision globale et cohérente du problème, de ses causes et de ses conséquences ainsi que sur la réalité de ces adultes et de leur famille.

Réponse de Francis Vailles

Bien franchement, je crois que le terme analphabète fonctionnel souvent utilisé par les médias pour décrire le phénomène - et aussi par la Fondation pour l'alphabétisation - englobe probablement trop large. Il reste que les chercheurs jugent qu'il faut attendre le niveau 3 (sur 5) de littératie pour bien fonctionner dans notre société, ce dont sont incapables 53 % des Québécois. Et que, malgré les présumés avertissements de l'OCDE dont vous parlez, c'est encore ce niveau qu'utilise Statistique Canada dans ses bases de données publiques. On s'entend certainement sur une chose : le gouvernement doit agir.

- Francis Vailles