Dimanche dernier, à Tout le monde en parle, Guy A. Lepage demandait à Lamine Foura et à Fatima Houda-Pépin comment se sentaient les musulmans du Québec face aux attentats de Paris et pourquoi on n'entendait pas plus réagir les « leaders musulmans ».

Moi, je dirais que je me sens comme tout le monde : choquée, horrifiée par tant de violence et infiniment triste de voir tous ces gens qui ont perdu la vie.

D'attentat en attentat, je suis effarée et horrifiée de voir ces mouvements islamistes radicaux propager la violence et la haine (à Paris, à Beyrouth, en Syrie, en Tunisie, etc.) au nom, soi-disant, de l'islam. Et je me sens complètement dépassée et impuissante face à ce phénomène, ô combien complexe.

Pour ce qui est des « leaders musulmans », je ne vois pas à qui Guy A. Lepage fait référence. Primo, parce qu'il n'y pas de communauté musulmane. Les musulmans du Québec, ce sont des personnes d'origine algérienne, pakistanaise, libanaise, iranienne, égyptienne, sénégalaise... qui parlent des langues différentes, ont des cultures distinctes et des rapports très différents à l'islam, etc.

Secundo, la plupart des Québécois musulmans se considèrent et se présentent avant tout comme des citoyens québécois et non des musulmans. Ils sont médecins, profs, serveurs, musiciens, techniciens, chauffeurs de taxi, ingénieurs, etc. Donc ils ne veulent pas de « leaders musulmans » qui les représenteraient ou parleraient en leur nom.

Tertio, qui seraient ces leaders musulmans ? Des imams ? Les imams ne représentent personne puisque leur fonction est de diriger la prière dans les mosquées (mosquées, soit dit en passant, où la grande majorité des Québécois musulmans ne mettent jamais les pieds). Des représentants d'associations musulmanes ? Ils ne représentent que leurs membres - qui sont de très petits groupes puisque, justement, la majorité des Québécois musulmans ne se définissent pas principalement et avant tout comme « musulmans ».

Tout ça pour dire que les leaders musulmans, je n'en connais pas... et je n'en veux pas non plus. Je suis citoyenne québécoise avant tout. Mon identité est tissée de multiples fils : féministe, Marocaine, journaliste, musulmane, mère...

Il n'est pas question pour moi qu'un quelconque « leader musulman » parle en mon nom.

Autre question que me posent parfois mes amis : « Pourquoi on n'entend pas plus de musulmans condamner publiquement les attentats ? ». D'abord, parce que la plupart des musulmans ne se sentent pas liés aux terroristes. Pour eux, il n'y a pas de lien entre leur islam et « l'islam » des islamistes radicaux. Ils voient les terroristes comme des criminels qui instrumentalisent la religion et non pas comme des personnes de la même « communauté ». Ensuite, parce que les musulmans sont des individus avant tout, et non pas une grande famille tissée serré ou un groupe organisé comme un parti politique, une association... Ils sont, comme tout le monde, choqués et horrifiés, mais comment manifesteraient-ils plus que leurs concitoyens non musulmans ? Est-ce qu'il faudrait se promener avec un panneau disant « Je suis musulman et je suis contre l'islamisme radical et la violence » ? Enfin, pourquoi, dans la vie de tous les jours, faudrait-il être un citoyen comme les autres et non pas un musulman, et pendant des épisodes d'attentats devenir musulman avant tout pour condamner en tant que musulman les terroristes ?

Ceci dit, je crois que la question de savoir si les musulmans dénoncent assez les attentats ou pas est aujourd'hui dépassée. Le « choc des civilisations » entre l'Occident et le monde musulman n'a pas plus de sens. Beaucoup d'Occidentaux sont musulmans, et l'État islamique terrorise et massacre un grand nombre de musulmans dans des pays à majorité musulmane.

En ce moment, ma petite individualité et ma petite identité propre n'ont aucune importance. Je me fous complètement d'être musulmane, néo-Québécoise, Occidentale ou Marocaine. Je fais partie de ce « Nous » formé de gens de tous les pays, toutes les ethnies et toutes les confessions, qui aspire à vivre en paix, ensemble, sur cette même petite planète. J'ai un immense sentiment d'impuissance et j'ai bien hâte qu'on se rassemble pour trouver des solutions. C'est quand même atroce de voir des jeunes courir comme ça au devant de la mort, la leur et celle de centaines d'innocents.