Bien que Stephen Harper ne soit pas un grand orateur, son discours peut néanmoins être efficace. Avec calme, d'une voix posée, presque faible - du moins en français -, il offre un message simple, simpliste diront ses adversaires. Et ce minimalisme se décline dans la plupart des dossiers.

En matière de santé, le premier thème abordé lors du débat de jeudi, la réaction de Harper se résume aisément : c'est une compétence provinciale, et on respecte celle-ci. Implicitement : on ne s'en occupe pas. Sur le Sénat, même posture : puisque les provinces sont en désaccord, on oublie la réforme de la Chambre haute.

Sur la question référendaire québécoise et le seuil nécessaire, lequel oppose férocement MM. Mulcair et Trudeau, position analogue : le débat est « dépassé ». Et il ajoute que les Canadiens et les Québécois ne veulent plus parler de Constitution.

Souvent, il réduit les problèmes à un binôme dont il prétend offrir un équilibre. À propos du danger terroriste, il soutient ainsi que son projet concilie « sécurité et liberté ». Quant à la guerre contre le groupe armé État islamique, il dit qu'il faut combiner les approches « militaire et humanitaire » ; sur les migrants, qu'il faut être « généreux et responsable ». Et chaque fois, entre les lignes, il dit : on ne peut pas tout faire !

Parfois, il lui suffit de quelques mots. Devant une action envisagée par ses adversaires, il dit que « ce n'est pas nécessaire ». Ou encore, il parle de services « abordables », par opposition à des services dispendieux qui vont provoquer des déficits à répétition.

La trame de fond économique est pratiquement toujours la même : moins d'impôts, moins de taxes. Ce qui conduit à moins d'État, moins de promesses, moins d'engagements... et moins de mots. Tout l'agenda de la droite en général est là : plus de place à l'initiative privée et au marché comme grand régulateur. Il aurait pu citer le président Reagan : « L'État n'est pas la solution à notre problème, l'État est le problème. »

En faisant cela, il ne met K.-O. aucun adversaire, mais il passe néanmoins son message auprès d'un électorat ciblé et bien identifié.

Sur l'échiquier politique, Harper occupe une position distincte : il est seul de son côté. Tous les gens qui souscrivent à son approche minimaliste n'ont que lui comme choix.

De l'autre côté, c'est la division. Sur le plateau du débat, s'il était souvent à l'écart, cet isolement devient un avantage dans l'arithmétique électorale. Notre système électoral ne donne pas nécessairement la victoire à la famille politique majoritaire, mais à celle qui est la moins divisée.

Cette posture qui combine la personnalité de l'homme, son argumentaire et son idéologie ne date pas d'hier. Lors de son premier discours du trône, celui d'avril 2006, il avait étonné tout le monde par sa concision. La crise de 2008 l'aura amené à être interventionniste et keynésien, mais son approche générale est centrée sur une réduction de la taille de l'État canadien, autant des revenus que des dépenses. Devant ses adversaires, il n'a cessé jeudi soir de souligner sa volonté de pouvoir enfin la mettre en oeuvre, malgré les pressions et les ralentissements économiques.

Le journaliste John Ibbitson, dans son imposante biographie du premier ministre sortant, relate avec minutie le portrait de cet homme introverti. Fils de comptable, né dans une banlieue de Toronto, il ne se sent pas à l'aise à l'université, parmi les élites intellectuelles ontariennes. Il abandonne ses études et déménage en Alberta. Quand il vit une peine d'amour, il s'en guérit en lisant Edmund Burke, le penseur classique du conservatisme politique. Il lui faudra presque six ans pour terminer ses études de maîtrise en économie, à l'École de Calgary, où il peaufine progressivement sa pensée politique de droite.

Au total, c'est indéniablement son minimalisme bien assumé qui lui a servi de bouclier et permis de tirer son épingle du jeu lors du « grand débat ». Est-ce que cela sera suffisant ? C'est une autre affaire.