Cher ministre,J'enseigne l'histoire. Tous les jours, je suis au front pour l'augmentation de la sagesse de l'humanité en élevant la génération d'aujourd'hui. Je suis un spécialiste du domaine dont vous êtes le patron. Comme nous avons à coeur le succès de la même entreprise, je vous offre ici quelques suggestions pro bono.

Tous les spécialistes du développement social et économique vous affirmeront qu'une société plus éduquée est plus rentable. Les citoyens plus éduqués sont généralement plus en santé, commettent moins d'actes criminels et participent plus activement à la vie de leur communauté que ceux ayant un parcours scolaire restreint. Ils occupent aussi, généralement, de meilleurs emplois.

La richesse de notre société repose sur le génie des grands innovateurs, mais aussi sur les techniciens et les spécialistes issus de notre système scolaire, capables d'augmenter non seulement leur propre richesse, mais aussi celle des entreprises pour lesquelles ils travaillent.

Or, quand je suis entré dans ma classe cette semaine, et qu'il faisait 43 degrés, c'est là que, toutes fenêtres ouvertes, je me suis mis à douter. En effet, demander à des élèves de rester assis 75 minutes dans une telle chaleur est complètement inhumain.

MAIS IL Y A PIRE...

J'enseigne dans un quartier merveilleux, mais amoché. La criminalité, la pauvreté et le faible taux de scolarité parentale ont mis un frein aux espoirs de plusieurs jeunes esprits brillants et vaillants. Pourtant, chaque année, nous réussissons à donner à une quarantaine de jeunes au crépuscule d'une adolescence mouvementée le courage, les outils, les connaissances et l'envie de briguer un diplôme d'études secondaires et même l'accès à des études supérieures et à une vie meilleure.

L'an prochain, si tout va bien, nous aurons une cohorte record de 66 finissants. Nos élèves de secondaire 4 sont le fruit de plusieurs années de travail de l'ensemble du personnel de cette école, des enseignants aux directeurs, des éducatrices à l'infirmière, du conseiller d'orientation aux concierges, des secrétaires aux élèves eux-mêmes.

Alors, quand je suis entré dans cette classe où il faisait 43 degrés pour enseigner à 36 adolescents, certains face au mur faute de place, j'ai commencé à douter de vos compétences. Comme si l'environnement dans lequel ils grandissent n'était déjà pas suffisamment empreint de problèmes : violence familiale, pauvreté, malnutrition et drogue, voilà qu'ils doivent subir des cours d'histoire obligatoires dans des conditions dignes d'un goulag saharien.

Nous avons entre les mains les fruits de plusieurs années d'efforts et on dirait que vous travaillez activement à les saboter, juste avant le dernier droit.

Vous abolisez des postes d'enseignants, de spécialistes grandement nécessaires, d'intervenants marquants pour les jeunes, vous refusez d'ouvrir de nouvelles classes, vous augmentez consciemment la précarité d'emploi, non seulement des enseignants, mais aussi de tous les employés du système scolaire et on ne parle pas encore des vrais problèmes. Or, où est le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté ? Où est le comité d'étude sur la violence et la négligence domestiques ? Où sont les subventions pour augmenter le sport et les activités pour les ados, afin de les décrocher de leur foutu iPhone ? Où est l'argent nécessaire pour rendre un cours neutre et monotone en un instant magique ?

Monsieur le ministre, vos mesures empêchent mes élèves, la prunelle de mes yeux et de notre école, d'atteindre le droit à une éducation décente et à de meilleures chances dans la vie. Alors aujourd'hui, dans mon désert prophétique, entouré de mes élèves, j'ai pensé au meilleur conseil que je pouvais vous offrir : investissez rapidement. Le temps qu'ils fassent quelques études et décrochent un bon boulot. Investissez maintenant et vous engrangerez les profits bientôt ! Promesse de prof !