Dans Le pendule de Foucault, les personnages principaux croisent des spécialistes de toute nature qui leur livrent une bouillabaisse de fondements universels et d'aberrations féeriques, au point de nous étourdir, tellement nous oscillons entre la croyance et la crédulité.

Voilà à quoi ressemble le rapport du BAPE sur les enjeux de la filière uranifère au Québec, récemment rendu public.

Avec ce rapport, le ministre du Développement durable, David Heurtel, se retrouve avec une formidable occasion : celle de réformer l'ensemble de l'institution et de sa démarche.

Ce rapport de 600 pages est un véritable collage de science et de mysticisme sur l'uranium. Il est certes bien construit et d'apparence rigoureuse, mais échafaude habilement ses conclusions à partir de références monographiques malheureusement saupoudrées d'allégories anecdotiques et émotives, le tout emballé dans des considérations interminables d'ordre politique et parfois grossièrement idéologique, évoquant ainsi le détour intellectuel de ses auteurs.

Consigner ainsi dans un même texte les représentations d'institutions et d'experts reconnus et crédibles avec les élucubrations rigides d'organisations militantes et dogmatiques, puis justifier ses conclusions en picorant les passages des mémoires et témoignages qui soutiennent ses thèses, relève d'une méthode qui discrédite à la fois toute la démarche et surtout l'ensemble de l'institution.

INCOHÉRENT

Le rapport souffre également d'un sérieux manque de cohérence intellectuelle. À titre d'exemple, la Commission semble s'enorgueillir de renseigner le lecteur sur des théories économiques des plus élémentaires lorsqu'elle avertit celui-ci que « toute prévision à long terme du prix de l'uranium est porteuse d'une grande incertitude en raison de nombreux facteurs conjoncturels » (p. 268) ou encore que l'on ne peut prendre trop sérieusement les prévisions de la demande pour l'uranium faites par l'OCDE ou l'Agence internationale de l'énergie atomique, car « toute projection sur un tel horizon [20 ans] ne peut qu'être imprécise et incertaine puisqu'elle peut être influencée par de nombreux facteurs [p. XI] ».

La Commission prêche de tels constats scolaires tout en exhortant le gouvernement à imposer une analyse coûts-bénéfices économiques (ABC) à l'obtention du permis d'exploitation, sans se rendre compte que la durée de vie utile moyenne d'une mine, période utilisée dans une ABC, peut aisément s'échelonner sur 15 à 50 ans. Elle affirme également en bout de piste que de telles études ne seraient pas réalisables puisque les données fiables et complètes requises pour les compléter sont « absentes » ! Nous voici maintenant rendus dans la maison qui rend fou des 12 travaux d'Astérix.

Ce même manque de rigueur et de réflexion circulaire prévalait dans les débats publics des dernières années sur les enjeux des gaz de shale, des éoliennes, de l'exploration pétrolière, les projets d'Hydro-Québec, des projets d'exploitation de gisement, les redevances minières et la réforme de la Loi sur les mines.

Le rapport du BAPE représente un affront à la mission fondamentale de l'institution.

La plus grande conclusion que nous devons tirer de cette initiative est qu'une réforme fondamentale s'impose.

Le Québec a maintenant besoin d'une entité publique indépendante, neutre et décisionnelle en matière de développement de nos ressources naturelles, qui s'élèvera au-dessus de la mêlée. Le modèle de la Commission de protection du territoire agricole, qui joue depuis près de 40 ans un rôle critique dans l'exploitation et le développement de notre potentiel agricole, peut nous inspirer à cet égard.

Il revient maintenant au ministre Heurtel et à ses collègues ministres de saisir cette conjoncture et de repositionner le pendule dans l'axe de la crédibilité, de la transparence et de la prévisibilité.