Dans 31 mois, tous les citoyens du Québec qui le veulent pourront être inscrits auprès d'un médecin de famille. Le chiffre magique est de 85%. En effet, selon le ministre, il y aurait 15% de la population qui, à tort ou à raison, ne serait pas à la recherche d'un médecin de famille. Le ministre, en bon démocrate, entend bien respecter ce choix.

Voilà donc l'engagement pris solennellement par messieurs Barrette et Godin au terme d'une négociation peu classique entre le ministère de la Santé et le syndicat des médecins de famille.

Cyniquement, le ministre et son nouvel ami jouent sur les mots plutôt que de parler du véritable enjeu. Qu'un médecin de famille accepte de m'inscrire sur sa liste, c'est bien la moindre des choses, mais qu'il me voie lorsque j'ai un problème de santé, évitant ainsi que j'aille attendre de trop nombreuses heures à l'urgence, voilà un enjeu fondamental lorsqu'on parle d'accessibilité.

À cet égard, on se garde bien de nous garantir quoi que ce soit. Les engagements sont peu précis lorsqu'il s'agit de promettre aux citoyens d'avoir, en temps opportun, accès à leur médecin de famille. Et le ministre n'a surtout pas dit aux Québécois et aux Québécoises qu'à compter du 1er janvier 2018, ils n'auront plus à se rendre à l'urgence parce que leur médecin de famille n'est pas disponible.

Rappelons-nous les constats établis par le Commissaire à la santé et au bien-être dans son rapport sur les urgences. En 2012-2013, près de 3,4 millions de visites ont été effectuées dans les urgences du Québec. De ce total, environ 2 millions de visites correspondaient à des cas de niveaux de priorité faible, qui auraient dû normalement être traités à l'extérieur de l'hôpital. La question qui tue, maintenant: où sont, dans cette entente, les deux millions de visites additionnelles nécessaires pour accueillir une clientèle qui ne veut pas aller à l'urgence, mais qui n'a pas d'autre choix?

Irréaliste

Il y a à peine quelques semaines, le ministre Barrette clamait sur toutes les tribunes qu'une augmentation de l'offre de services était absolument nécessaire pour régler le problème d'accessibilité. Le 17 mars dernier, dans une lettre ouverte, il affirmait même que les médecins de famille pouvaient augmenter de 7,5 millions le nombre annuel total de visites. Toute cette mise en scène pour établir un rapport de force qu'il a, à l'évidence, perdu.

Au début du printemps, le ministre annonçait gros. Aujourd'hui, force est de constater qu'il s'est dégonflé.

Cette entente ne prévoit aucune augmentation d'offre de services, sinon celle consécutive à l'ajout des jeunes médecins de famille. Ainsi, pour régler une fois pour toutes le problème d'accessibilité aux services médicaux de première ligne, le système de santé pourra compter annuellement sur 400 jeunes médecins de famille, qui dorénavant travailleront moins en établissement et davantage dans les groupes de médecine familiale existants ou dans les futures super-cliniques qui verront le jour à un super-coût, mais qui fonctionneront sans doute à un super-régime soit le jour, le soir, la nuit et les fins de semaine.

Ce n'est tout simplement pas réaliste. Chaque année, environ 200 médecins de famille cessent d'exercer leur profession, laissant derrière eux près de 400 000 personnes cherchant désespérément un nouveau médecin de famille. Il faut ajouter à ce déficit annuel d'accessibilité les 1,6 million de personnes qui devront être inscrites auprès d'un médecin de famille pour que soit atteinte la cible de 85% négociée.

Notre éléphantesque gouvernement vient d'accoucher d'une souris déguisée en phénix. Non seulement les solutions du tandem Barrette-Godin sont alambiquées, mais encore elles auront vraisemblablement des effets délétères.