Dans le monde des sports, aux États-Unis, les commentateurs et journalistes qualifient certains partisans de «haters». Ces individus sont ceux qui vouent une haine démesurée et inextinguible à un joueur ou à une organisation. Il y a, par exemple, les «Romo-haters», les «Patriots-haters» et, pourquoi pas, les «Carey-haters». Pour ces haïsseurs, tout ce que l'athlète ou le club fait, en bien comme en mal, ne devient qu'une source renouvelée de haine et une occasion de le vilipender.

Ce curieux phénomène existe aussi dans le domaine intellectuel et politique depuis fort longtemps, mais, développement du web aidant, il s'est amplifié depuis une quinzaine d'années, au point qu'il est en train de corrompre la vie démocratique et de rendre le dialogue, pourtant fondamental dans une société de droit, quasi impossible.

Les haïsseurs prétendent que c'est l'indignation qui est le moteur de leurs actions, mais, en fait, celle-ci n'en est que le masque, le prétexte. Fondamentalement, c'est la haine qui les motive. Cette détestation comporte différentes dimensions: exécration du capitalisme et de la libre entreprise, hostilité envers les gouvernements «bourgeois» et abomination des partis politiques identifiés à la droite.

En règle générale, le haïsseur croit que la libre entreprise n'est qu'une vaste entreprise de spoliation, dirigée par des escrocs patentés, qui exploite le petit peuple dont il estime faire partie. Celui-ci doit donc lutter contre le capitalisme et le libéralisme, sources de tous les maux, et amener leur renversement au profit d'un nouveau monde collectiviste et «généreux» aux contours forcément flous. Il est donc partisan soit d'un État interventionniste, sinon omnipotent, qui seul pourrait promouvoir le bien commun, soit de sa disparition. Curieusement, cette statolâtrie (comme son contraire) l'amène à être le plus féroce critique des gouvernements en place, qui n'en font jamais assez pour aider la société ni pour imposer les riches, ces profiteurs véreux et individualistes, et sont sous l'emprise de penseurs néolibéraux et d'entrepreneurs fraudeurs qui lui dictent ses politiques: quel curieux théâtre de marionnettes! Au Québec, cette double haine le pousse à vouer aux gémonies le Parti libéral, dont les tares indélébiles en font le point focal de sa fureur.

Comme le haïsseur ne croit ni au dialogue ni à la négociation, selon lui des pièges à cons, et qu'il considère les institutions politiques (le scrutin, le Parlement...) comme irrémédiablement corrompues, il ne lui reste que deux exutoires: l'intervention sur les médias sociaux, où il peut cracher son venin, et la rue, dont il espère qu'elle accouchera du grand soir.

La fréquentation des sites web d'opinions nous révèle un monde où la rage est exacerbée. Les haïsseurs, qui y sont rois et maîtres (certains y passent leurs journées entières, sautant d'une nouvelle et d'un blogue à l'autre et utilisant plusieurs pseudonymes), ont rendu ces endroits irrespirables. Les rares intervenants qui y font des propositions raisonnables sont soit ignorés, soit insultés. Les haïsseurs, qui se connaissent, du moins sous leurs avatars, s'injurient à qui mieux mieux et, surtout, déversent leur fiel inépuisable contre les salauds de riches, les politiciens corrompus et ineptes, les partisans de la démocratie libérale et l'ensemble de ceux qui font partie des «autorités». Le jugement de valeur y est roi, le bon sens, rarissime, la phrase lapidaire, la norme, le plus souvent dans une totale méconnaissance des faits (et dans un français pitoyable).

Quant à la rue, elle est devenue le défouloir de tous ces haïsseurs qui rêvent de s'en prendre physiquement aux défenseurs de cette société honnie (les policiers), de saccager le bien public et de hurler leur aversion pour ce système qui pourtant les fait vivre et leur permet de s'exprimer. Comment en sommes-nous arrivés là?