Par une très courte majorité, la Cour suprême a reconnu qu'aux termes du pouvoir de légiférer en droit criminel que lui reconnaît la Constitution, le Parlement fédéral pouvait non seulement décriminaliser la possession d'une arme d'épaule non enregistrée, mais également détruire tous les fichiers relatifs aux armes d'épaule enregistrées jusque-là.

Québec reconnaissait que le fédéral était constitutionnellement autorisé à abroger le registre des armes d'épaule pour ses propres fins, mais soutenait néanmoins que la destruction des données était inconstitutionnelle, en raison des conséquences néfastes qu'elle entraînait pour lui. En effet, Québec avait annoncé son intention de mettre en place son propre registre (ce qu'il est constitutionnellement autorisé à faire). La destruction des données lui faisait perdre le bénéfice des informations colligées par le fédéral.

Le caractère unique de cette décision de la Cour tient au fait que l'enjeu n'était pas tant de savoir si le fédéral était investi du pouvoir d'abroger une loi qu'il avait lui-même adoptée, mais bien de savoir si un ordre de gouvernement (fédéral ou provincial) peut abroger unilatéralement un programme législatif qu'il a mis sur pied et auquel un autre ordre de gouvernement a été associé. Souvenons-nous que le régime de contrôle des armes d'épaule supposait une étroite collaboration entre le fédéral et les provinces. Ottawa aurait pu établir un régime relevant de sa seule autorité, mais ne l'a pas fait. Autrement dit, la question était de savoir si le principe du «fédéralisme coopératif», maintes fois invoqué par la Cour, imposait au fédéral une obligation de ne pas nuire à l'exercice, par la province, de ses propres compétences.

Les cinq juges majoritaires adoptent la posture traditionnelle selon laquelle leur rôle consiste à déterminer si un ordre de gouvernement possède ou non la compétence législative requise pour agir comme il l'a fait. Pour eux, le fédéral étant compétent pour adopter le registre, il va de soi qu'il était compétent pour l'abroger. Un point, c'est tout. Selon eux, aucun partenariat formel n'avait été prouvé et le fédéral était en droit de détruire des données qu'il avait lui-même colligées. Les juges admettent même que le gouvernement Harper avait comme but d'empêcher les provinces de créer leur propre registre, mais, disent-ils, il s'agit là d'une question politique ne relevant pas des tribunaux. Bref, la tâche de sanctionner ou non le gouvernement incombera aux électeurs au jour des élections.

Les quatre juges dissidents sont plutôt d'avis que la question ne se résume pas à savoir si le pouvoir d'abroger existe ou non. À leur avis, le fédéral avait, dans l'exercice de son pouvoir en matière criminelle (que personne ne lui contestait), l'obligation de s'assurer que, ce faisant, il ne portait pas indûment préjudice au pouvoir de la province d'exercer ses propres compétences. Bref, les dissidents sont d'avis qu'existe en droit canadien ce qu'on appelle dans d'autres fédérations une obligation de «loyauté fédérale» qui permet aux juges de baliser l'exercice d'un pouvoir constitutionnel. En l'occurrence, la destruction des données contrevenait à ce principe.

L'approche des dissidents autorise les juges à équilibrer les intérêts des partenaires fédéraux. Il leur faut donc recourir à une logique de proportionnalité pour déterminer si l'action du fédéral ne rend pas impossible ou exagérément difficile l'exercice des compétences provinciales. C'est ce que font les juges dissidents en déclarant la loi fédérale inconstitutionnelle au motif que la destruction des données n'était pas nécessaire, qu'elle avait pour but de nuire aux provinces, qu'elle contrevenait au partenariat institué par la mise en place initiale du registre et qu'elle rendait très difficile, sinon impossible, la constitution d'un registre provincial.

Les juges majoritaires, quant à eux, ont refusé de reconnaître aux tribunaux le pouvoir de déterminer comment doit être exercée une compétence donnée. En laissant aux électeurs le soin de sanctionner l'absence de loyauté fédérale, ils honorent peut-être le principe démocratique, mais ils affaiblissent très certainement le principe du fédéralisme coopératif qu'ils ont pourtant tant vanté.