L'auteure réagit à l'éditorial d'André Pratte «Des synagogues aux mosquées», publié samedi.André Pratte développe dans sa tribune du 7 mars l'idée selon laquelle les musulmans vivent actuellement une situation semblable à celles des juifs au début du XXe siècle lorsqu'ils ont voulu construire leurs synagogues. La même peur et le même ostracisme de la part de communautés ignorantes de leurs coutumes. On ne peut que se remettre en question à la lecture de cet article et se demander si finalement, les Québécois ne sont pas, en effet, tout simplement intolérants envers les cultures différentes de la leur. La preuve, les sondages cités montrent une grande méfiance envers les musulmans (et dans une moindre mesure envers d'autres communautés). En quelque sorte, les musulmans d'aujourd'hui sont les juifs d'hier.

Il est certain que les juifs ont dû batailler pour construire des lieux de culte dans une société chrétienne hostile par ignorance et par dogmatisme: à cette époque, l'Église n'avait pas pacifié ses relations avec la communauté juive et l'antisémitisme n'était pas condamné par le clergé.

Cependant, la comparaison entre  immigrés juifs et immigrés musulmans est malhabile. Certes, les juifs ont un mode de vie exclusif et ne partagent pas nécessairement tous les rites culturels étrangers, ce qui a pu déranger les sociétés parmi lesquelles ils se sont établis, et pas seulement au Québec. Ils n'expriment toutefois pas de volonté de conversion des hommes ou des institutions et ne mènent pas de lutte armée dans ce but. Aucun rabbin, d'ici ou d'ailleurs, à quelque époque que ce soit, n'a jamais appelé à la conversion de gré ou de force des «infidèles». Pas plus d'appels à la vengeance pour «le sort des juifs dans le monde», par exemple (et pourtant, en 1941, il y aurait eu des choses à dire...).

La société québécoise de 2015, laïcisée, mondialisée, informée par de nombreux médias, ne peut se comparer à la société du début du siècle dernier. Et la réticence des Québécois à voir s'élever une mosquée près de chez eux ne relève pas nécessairement de la haine ou du racisme, mais aussi de la peur. Non, tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais les terroristes se réclament de l'islam. Peut-on en vouloir aux Québécois de s'inquiéter de cela? Les déclarer intolérants alors qu'ils sont inquiets pour leur sécurité ne mènera à rien, sinon à les radicaliser.

Des populations inquiètes

La montée des partis d'extrême droite observée en Europe n'est que la réponse des populations inquiètes aux politiques et aux médias qui leur affirment sous forme incantatoire qu'il n'y a pas de problème de sécurité, en dépit des évidences. À l'heure où le gouvernement Couillard nous informe qu'un plan de lutte contre la radicalisation au sein de la communauté musulmane va être mis en place, pourquoi essayer de ramener le problème de l'édification des lieux de culte musulman à un simple problème de tolérance comme a pu en connaître la communauté juive?

Construire des mosquées pour lutter contre la radicalisation? Cela équivaudrait à construire des cinémas pour lutter contre le téléchargement illégal sur l'internet. L'établissement de mosquées ne doit pas se faire dans l'urgence d'un plan antiterroriste, mais dans le cadre d'une relation apaisée avec la communauté musulmane, dans laquelle elle pourrait fournir des garanties aux municipalités sur la provenance des sources de financement de ces lieux et sur la nature de ce qui y sera enseigné et prêché.

Les citoyens musulmans doivent pouvoir prier dans des lieux de culte décents. Les autres citoyens doivent pouvoir compter sur des politiques pour que leur sécurité soit garantie.