Une majorité de Québécois, à l'instar d'une majorité de Canadiens, se réjouit à l'idée du renforcement éventuel des pouvoirs policiers destinés à contrer les «menaces à la sécurité du Canada», sans trop se soucier de la nature ou de l'étendue de ces pouvoirs. Les politiciens, quant à eux, font dire au projet de loi C-51 ce qu'il ne dit pas (Mulcair), mentent (Kenney), taisent et dissimulent ce qu'il dit effectivement (Blaney et Harper) ou encore préfèrent reconnaître ses lacunes tout en promettant toutefois de l'approuver (Trudeau).

En outre, tout argument un tant soit peu rationnel en défaveur du projet de loi est immédiatement associé par le gouvernement à une manifestation de poltronnerie. Le «gros bon sens» triomphe de tout.

Tout cela dans un contexte où le débat démocratique sera malheureusement presque impossible, puisque le projet de loi ne fera pas l'objet d'une étude circonstanciée, étant donné que, quoiqu'il arrive, le PLC appuiera le PC, déjà majoritaire en chambre. Il faut bien admettre que quand la population elle-même s'enthousiasme pour la répression, les politiciens pusillanimes trouvent peu d'intérêt à s'y opposer et ceux qui ont le courage de le faire risquent gros.

À quel endroit pourra-t-on alors exiger du gouvernement qu'il fasse la démonstration rationnelle de la pertinence, de l'urgence, et du caractère mesuré de son intervention? Devant les tribunaux, ces assassins de la démocratie - aux dires de plusieurs - , ces censeurs du «gros bon sens.»

Les tribunaux ont-ils toujours raison? Non. Les juges sont-ils nécessairement plus sages que leurs voisins? Non. Ce qui distingue le juge du commun des mortels, c'est que son désir d'adhérer sans réflexion à ses convictions personnelles est tempéré par son devoir de répondre, après un débat contradictoire, à certaines questions que le gros bon sens laisse souvent de côté. Les réponses données seront-elles parfaites? Non. Ont-elles des chances d'être plus réfléchies que les réponses creuses du gouvernement actuel? Certainement.

À quel genre de questions un juge devra-t-il répondre? L'imprécision de la nouvelle infraction qui criminalise la promotion de la perpétration d'infractions de terrorisme est-elle si grande, qu'au fond, elle laisse aux autorités policières le soin de distinguer ce qui est criminel de ce qui ne l'est pas? Risque-t-elle de permettre la criminalisation d'activités expressives parfaitement inoffensives ou encore absolument essentielles à un débat démocratique?

Quant aux nouvelles dispositions qui facilitent la détention préventive d'un individu soupçonné de terrorisme, pourquoi sont-elles nécessaires? En effet, des dispositions sur la détention préventive de potentiels terroristes existent déjà dans le Code criminel et n'ont pas été utilisées dans le cas de Martin Couture-Rouleau, le terroriste de Saint-Jean. Pourquoi donner aux forces policières un marteau, alors qu'elles n'ont pas fait la preuve que leur scalpel était inadéquat?

Enfin, est-il raisonnable de conclure qu'une éducatrice en garderie qui participe à une grève illégale de 24 heures pour influer sur le gouvernement, ou encore qu'un environnementaliste et un autochtone qui bloquent une route sans autorisation pour protester contre un projet de pipeline constituent des «menaces à la sécurité canadienne», au sens de la nouvelle Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada?

Les juges ne sont pas parfaits, mais ils ont le pouvoir de faire ce que haïssent les politiciens pressés d'abdiquer leur fonction législative: poser des questions et exiger des réponses qui soient autre chose que des raccourcis qui font insulte à l'intelligence des citoyens qui devront vivre avec les conséquences de leurs décisions électoralistes.