Voltaire faisait la différence entre la religion naturelle (innée) qui selon lui, a mille fois empêché des citoyens de commettre des crimes et la religion « artificielle » qui encourage à toutes les cruautés qu'on exerce de compagnie, conjurations, séditions, brigandages, embuscades, prises de villes, pillages et meurtres, chacun marchant gaiement au crime sous la bannière de son saint. Il déplorait que chaque chef des meurtriers (chefs de guerre) fasse bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain.

Dans bien des grands empires païens de l'Orient ancien, la soif des conquêtes était une façon d'honorer les dieux. Par la suite, les religions elles-mêmes ont été le porte-drapeau de plusieurs guerres. Il est donc naturel de se demander si l'humanité se porterait mieux sans elles. Il est vrai que l'emprise de la religion sur les esprits et les coeurs peut être fascinante. 

Par ailleurs, la religion naturelle ne garantit pas le non-recours à la barbarie ; en effet, il faut garder à l'esprit que la barbarie humaine qui ne s'est pas prévalue de la religion a été également la cause de grands massacres : à eux seuls, le nazisme et le communisme ont été à l'origine de la perte de plus de 100 millions d'âmes au XXe siècle.

Dans les religions monothéistes, la morale naturelle est renforcée du fait qu'elle est assumée par l'Être suprême : l'homme étant fait à l'image de Dieu, toucher à une personne c'est attenter à Dieu même. Et de fait, la religion a parfois tempéré les instincts barbares : il en a été ainsi au Moyen-Âge, où on arrêtait de faire la guerre le jour du Seigneur.

Les Écritures ont canalisé les besoins spirituels de l'homme et ses attentes du divin. Pourtant, toutes les Écritures contiennent des passages difficiles. Ainsi, dans le livre du Deutéronome, il est prescrit aux Hébreux de ne pas faire grâce aux habitants des villes conquises. Selon Mathieu, le Christ ne serait pas venu apporter la paix, mais le glaive. Dans le Coran, il est prescrit de combattre les incroyants jusqu'à ce que la sédition soit anéantie et que toute croyance devienne celle d'Allah.

Relativiser les textes

Les lectures fondamentalistes des Écritures étouffent la religion innée. Le plus clair du temps, le leadership religieux est prisonnier du texte qu'il ne veut pas relativiser. Pourtant, lorsque les Écritures contredisent la morale, l'humanité se doit de prendre ses distances par rapport à elles. De grands penseurs religieux juif, chrétien et musulman, appartenant respectivement à des dénominations mettant en avant la loi, la foi ou la soumission, en sont arrivés à cette conclusion : pour Maïmonide, la centralité de l'intellect vise l'acquisition de valeurs morales ; pour Thomas d'Aquin, si nous résolvons les problèmes de la foi par la seule voie de l'autorité, nous posséderons certes la vérité, mais dans une tête vide ; pour Averroès, si les Écritures contredisent la raison, il y a tout lieu de les interpréter.

Les Écritures ont leur utilité et offrent un confort moral et spirituel. Mais vient le moment où la conscience doit supplanter les Écritures et remettre Dieu à sa place.