On apprenait la semaine dernière que le gouvernement du Canada compte ne rien organiser de spécial à l'occasion du 50e anniversaire du drapeau canadien. D'aucuns s'en sont étonnés puisque le gouvernement Harper n'hésite pas en général à investir le champ de la commémoration historique, à preuve les 5,2 millions consacrés au bicentenaire de la guerre de 1812 et les millions déjà engagés en vue du 150e de la Confédération en 2017.

C'est oublier la véritable crise qu'avait provoquée,en son temps l'adoption de l'Unifolié canadien, une crise notamment alimentée par le Parti conservateur du Canada. Si la controverse parait bien loin de nos jours, parions que Stephen Harper, lui, s'en souvient.

Bien plus que la Confédération de 1867, c'est l'énorme sacrifice consenti pour l'Empire britannique par les Canadiens durant les deux guerres mondiales qui permit au Canada de prétendre à sa pleine souveraineté. Durant la campagne électorale de 1945, le premier ministre Mackenzie King s'engage donc à doter le Canada d'un drapeau distinctif afin de parachever son indépendance. Cette proposition provoqua une levée de boucliers au Canada anglais et en particulier parmi les députés conservateurs, qui réclamaient que l'on conserve l'Union Jack britannique.

En guise de compromis, le gouvernement King fait finalement adopter le drapeau «Red Ensign», arborant l'Union Jack et les armoiries du Canada sur fond rouge, déjà utilisé à titre informel. Le Québec, lui, était pourtant prêt à aller de l'avant et exprime sa déception. Le 21 janvier 1948, le gouvernement du Québec prend prétexte de l'incapacité du Canada à se doter d'un drapeau distinct pour justifier la proclamation du Fleurdelisé.

L'audace de Duplessis s'avèrera payante. Le nouveau drapeau officiel du Québec fait vite consensus, l'Union nationale remporte haut la main les élections générales tenues six mois plus tard et la date anniversaire du 21 janvier est désormais commémorée par le jour du Drapeau.

Le geste unilatéral de Duplessis place cependant le Canada anglais dans l'embarras. Qui plus est, quand Lester B. Pearson prend la tête d'un fragile gouvernement libéral minoritaire, en 1963, il assiste à la montée du séparatisme québécois. Le premier ministre libéral dépose donc, en mai 1964, une motion visant à faire adopter un drapeau typiquement canadien, exempt de symboles britanniques et représentant trois feuilles d'érable entre deux bandes bleues. Un débat enflammé s'engage aux Communes entre partisans du Red Ensign d'inspiration britannique et ceux du drapeau «libéral».

Le débat déraille quand Pearson, présentant son projet devant un groupe de vétérans, se fait répondre sans ménagement que 100 000 Canadiens sont morts sous le drapeau britannique et qu'il n'est pas question d'effacer d'un trait leur sacrifice afin de plaire au Québec.

Le chef conservateur John Diefenbaker engage alors une véritable croisade contre «le fanion de Pearson». Les députés conservateurs s'épanchent des jours durant à propos de l'héritage britannique sacrifié et de l'affront commis envers ceux morts pour la mère patrie. Éventuellement, Pearson, épuisé, réfère le dossier à un comité de la Chambre.

Parmi les centaines de propositions soumises par des citoyens, celle de l'historien George Stanley représentant une simple feuille d'érable rouge sur un fond blanc, flanqué de deux bordures rouges, ressort du lot. La bataille finale se jouera donc aux Communes entre le «fanion de Pearson» et l' «unifolié» de Stanley, de sorte que les conservateurs se retrouvent piégés.

Le nouveau drapeau sera en priorité déployé sur le site de Terre des hommes à Montréal, en 1967, mais bien peu de gens se souviennent que l'événement visait à célébrer le centenaire de la Confédération.

Bref, si le gouvernement conservateur commémore avec faste un ancien premier ministre conservateur (John A. Macdonald), la participation canadienne à la Grande Guerre menée par un premier ministre conservateur (Robert Borden), une guerre livrée en 1812 par un gouvernement britannique conservateur (Spencer Perceval) et le 150e d'une Confédération de 1867 conçue de pied en cap par des conservateurs, il semble que Stephen Harper ait plus de mal à célébrer des symboles associés à l'héritage de ses adversaires libéraux, dont le drapeau unifolié.