Depuis des années, les grands festivals de Montréal ont carte blanche sur des questions telles que la surcapacité, le bruit, les déchets, l'alcool offert aux mineurs, et la consommation de drogues en plein air. À l'opposé, la police accuse les bars de ne pas servir assez de nourriture avec la boisson, ou leur impose des fermetures temporaires et des amendes dans les milliers de dollars à cause d'une seule plainte de bruit excessif.

Qui plus est, beaucoup d'organismes derrière ces événements sont à but non lucratif, et sont donc exemptés des taxes que doivent payer les entreprises normales. Le régime inégal dont ils profitent désavantage de nombreuses petites et moyennes entreprises de la vie nocturne.

Il n'y a pas de plus belle exemple de cette inégalité réglementaire que l'Igloofest, qui bat actuellement son plein dans le Vieux-Montréal. Lancé en 2007 comme un événement de musique électronique en plein air d'une fin de semaine, Igloofest a pris les proportions d'un rave hebdomadaire de quatre semaines, du vendredi soir jusqu'au dimanche soir. Cette année, presque 100 000 visiteurs y sont attendus.

À première vue, c'est génial. Mais la réalité est tout autre en ce qui concerne son effet sur l'industrie de la vie nocturne. Igloofest n'est pas un festival typique, puisque ses opérations ne sont pas continues comme celles de Pop Montréal ou les Nuits d'Afrique. Igloofest opère uniquement les soirs où il peut compter sur une grande assistance, ce qui diminue le risque de pertes.

En plus, alors que les entreprises de la vie nocturne n'ont pas le droit d'offrir un bar ouvert, ni de faire la promotion exclusive d'un seul fournisseur de boisson, ni d'annoncer dans le métro ou sur les autobus, l'un des partenaires privilégiés de Igloofest est la STM, son commanditaire principal est Sapporo, et des billets «bar ouvert» sont offerts aux VIP.

Les mois de janvier et février sont déjà très difficiles pour l'industrie de la vie nocturne, étant donné que les clients se font rares après les Fêtes. Igloofest aggrave ce manque de revenus en détournant une partie importante de la clientèle des entreprises locales.

Certains établissements comptent une baisse pendant cette période allant jusqu'à 30% des revenus mensuels moyens. Si on y ajoute l'impact d'Igloofest, cette baisse peut atteindre 60%. Pour une industrie où la marge de profit varie entre 2 et 5%, c'est la différence entre la vie et la mort.

Régime inégal

L'industrie montréalaise de la vie nocturne génère des revenus d'environ 500 millions par année, et crée plus de 10 000 emplois. Son impact économique est plus important que celui des festivals. Mais ce sont les festivals qu'on glorifie et auxquels on accorde un cadre légal spécial et des appuis gouvernementaux, tandis qu'on vilipende souvent la communauté de la vie nocturne.

Nous avons vu la police métropolitaine fermer des lieux de musique connus en pleine présentation en raison de plaintes de bruit excessif. Peut-on imaginer une telle descente au Festival de Jazz ou à Igloofest, avec une centaine de policiers qui mettraient fin à une performance en exigeant le départ immédiat de 5000 spectateurs? Une absurdité, mais les deux cas sont presque identiques, avec cette seule différence que les bars et les boîtes de nuit du boulevard Saint-Laurent ou de l'arrondissement de Notre-Dame-de-Grâce dérangent moins de monde, paient plus de taxes, et créent plus d'emplois.

Ceci n'est pas un argument anti-festival. Les festivals apportent beaucoup à notre ville. Mais le climat d'affaires doit être égal pour tous. Continuer d'accorder aux grands festivals l'appui privilégié de la Ville, de la province et des forces policières, pendant que l'industrie de la vie nocturne doit composer avec une surrèglementation, une surtaxation et une économie fragile, ne fera qu'accentuer le déclin de la célèbre culture nocturne de Montréal, au détriment de tous.