Le 22 décembre dernier, La Presse publiait «Les oubliés de Huntingdon», un article faisant un triste portrait de la ville 10 ans après la fermeture d'importantes usines de textile. En lisant ce texte, je n'ai toutefois pas reconnu la ville où je suis pourtant médecin de famille depuis près de 40 ans; le ton misérabiliste et légèrement sensationnaliste ne correspondant pas à la réalité que je côtoie quotidiennement.

Certes, comme le montrent les statistiques citées dans l'article, la région compte sa part de pauvreté. Par contre, y vivre n'est pas synonyme de misère pour une majorité de résidants. La vocation de la MRC est bien sûr agricole et nous avons - ma foi - nombre d'agriculteurs plutôt prospères. À la suite de la fermeture des usines, la plupart des gens qui ont perdu leur emploi ont retrouvé du travail dans les entreprises environnantes.

La ville jouit toujours d'un bon nombre de services, notamment d'un centre de ressources familiales et d'une maison des jeunes, tous deux présentés dans le reportage, d'un centre hospitalier de soins de longue durée (CHSLD), ainsi que d'un centre médical. Celui qu'un collègue et moi avons fondé...

En région, il va sans dire que la profession de médecin de famille a ses particularités. Je pourrais mentionner à seul titre d'exemple que le maintien à domicile tout comme les visites à domicile ne sont pas ici une vue de l'esprit, mais bien une réalité quotidienne. Le Centre médical de Huntingdon inclut également dans ses pratiques une clinique sans rendez-vous - la seule de la région! - ouverte six jours par semaine, et ce, malgré le peu d'effectifs.

Notre centre, qui est l'un des premiers - et le plus petit - GMF de la province, peut également se vanter d'assurer la prise en charge de toute la population environnante. Ici, rares sont ceux qui n'ont pas de médecin de famille et l'accès à ce dernier n'est jamais problématique. Aussi, il m'apparaît important de mentionner que le ratio de patients par médecin de famille dépasse ici largement le nombre proposé par la réforme du ministre Barrette.

Or, tout cela pourrait prendre fin d'ici quelques années si aucun médecin ne vient prendre la relève. Et ce dont les habitants de la région ont pu bénéficier au cours des 40 dernières années pourrait bien connaître le même sort que les usines de textile. Ainsi, une population déjà fragilisée se verrait de surcroît amputée d'un service essentiel.

L'article du 22 décembre dernier, où l'intervenant Claude Théorêt présentait Huntingdon comme le tiers-monde du Québec (!), m'a d'autant plus ébranlé qu'il a été publié alors que mes collègues et moi sommes grandement préoccupés par l'avenir du centre médical et, conséquemment, de la santé de la région. Depuis plusieurs années, nos tentatives de recrutement de jeunes médecins se sont avérées infructueuses, et j'ai bien peur que des articles comme celui paru dernièrement ne nous viennent pas en aide.

Huntingdon n'est pas une région du tiers-monde, mais elle est certainement une région où il y a beaucoup à accomplir. Les jeunes médecins qui viendraient s'y installer ne sauraient le regretter.

Réponse d'Ariane Lacoursière

Dr Hébert,

Selon ce que je comprends, le portrait que nous avons fait de la région de Huntingdon ne correspond pas à votre réalité. Pourtant, pendant près de deux mois, nous avons rencontré plusieurs résidents et intervenants de la région qui étaient unanimes: les difficultés vécues depuis la fermeture des usines de textile il y a 10 ans sont nombreuses.

Vous mentionnez que le territoire compte plusieurs agriculteurs très prospères. C'est bien vrai. Mais malgré la présence de familles plus fortunées, ce qui fait grimper les statistiques, le revenu moyen par habitant dans le Haut-Saint-Laurent est d'à peine 20 622$. C'est donc dire que les plus pauvres de la région le sont vraiment.

Vous reprochez le ton misérabiliste et légèrement sensationnaliste de l'article. Or, tous les propos rapportés provenaient d'intervenants crédibles et impliqués dans le milieu et non pas d'une impression personnelle.

Je comprends votre crainte de ne pouvoir recruter de médecins pour votre clinique. Mais en tout respect pour votre travail, La Presse n'a pas pour mission de peindre un portrait favorable de la région uniquement pour assurer la survie de votre établissement.

Le reportage que nous avons fait ne se voulait pas un extrait de La petite séduction, mais un portait crédible et représentatif d'une des régions les plus pauvres du Québec.

Plusieurs des intervenants cités dans l'article nous ont d'ailleurs contactés à la suite de notre reportage pour nous remercier d'avoir exposé au grand public la situation de leur région, trop souvent oubliée.

Merci de nous lire.

- Ariane Lacoursière, La Presse