À l'instar de tous ceux qui l'ont précédé, le ministre de la Santé, le Dr Gaétan Barrette, succombe à la maladie appelée «structurite».

Depuis 1970, on ne compte plus les réarrangements administratifs dans les structures hiérarchiques du réseau de la santé et des services sociaux. Ces chambardements n'ont pas eu d'effet significatif sur l'organisation des services de santé, sur leur pertinence, leur accessibilité, leur sécurité et leur qualité.

Le ministre Barrette compare la structure hiérarchique visée par sa réforme à celle de l'organisation Kaiser Permanente et à celle de la Cleveland Clinic. Rien n'est plus erroné, car ce qui différencie le plus ces organisations de notre réseau québécois, c'est que dans ces deux cas, les médecins ont un lien d'emploi direct avec les hôpitaux du groupe, ils sont imputables et ils ont des comptes à rendre à leurs patients, à leurs pairs et à ceux qui les dirigent, ce qui n'est pas le cas des médecins cliniciens du Québec.

Le plus grand problème de notre réseau de la santé n'est pas l'organisation administrative qui le chapeaute actuellement, c'est la quasi-absence d'imputabilité du corps médical.

Le ministre veut, en diminuant le nombre d'établissements et les agences, augmenter l'imputabilité et la reddition de comptes des gestionnaires du réseau.

Or, les gestionnaires du réseau ne peuvent être tenus imputables des orientations et des coûts du système de santé. Ce sont plutôt les médecins qui, par le biais de la prescription médicale, que ce soit une demande d'admission, une chirurgie, un médicament, des tests de laboratoire, des tests d'imagerie, etc., génèrent les dépenses du réseau de la santé. Tout le système se mobilise par la suite pour fournir au patient les examens et les traitements prescrits par les médecins. Les gestionnaires n'exercent leur contrôle qu'en plafonnant l'embauche, les heures travaillées par le personnel et le coût des fournitures.

Les médecins ont évidemment l'intérêt de leurs patients en tête lorsque vient le temps de les traiter, mais ils défendent d'abord et avant tout leurs propres intérêts lorsque vient le temps d'entrer en relation avec l'établissement dans lequel ils travaillent, que ce soit par le biais du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens ou de leur département.

Le mode de rémunération à l'acte encourage les professionnels à fournir les services qui prennent le moins de temps et qui sont les plus payants.

Il encourage la surutilisation des services, à l'initiative du médecin, ce qui accroît entre autres les risques de maladies iatrogènes et d'erreurs médicales. En étant payé que lorsqu'il pose des actes, le médecin n'a pas tendance à discuter des cas avec les autres professionnels dans le but, par exemple, de mieux coordonner les soins autour du patient. Finalement, en payant un seul professionnel pour faire un seul acte, on ne favorise pas le travail en équipe.

Notre réseau de la santé est un peu comme un paquebot. Il a un capitaine, le ministre de la Santé, mais ce capitaine n'est pas le seul qui a la main et le contrôle du gouvernail. Dr Barrette croit qu'en éliminant des paliers hiérarchiques et en réduisant le nombre de décideurs dans le réseau, il pourra finalement mettre la main sur le gouvernail et amener son paquebot là où il le désire. Non seulement ceci constitue une dérive autoritaire sans précédent, mais il oublie que ceux qui dirigent vraiment le paquebot de la santé, ce sont les médecins.

Tant que ces derniers demeurent à l'écart du système de soins, qu'ils n'en font véritablement pas partie, tant qu'ils demeurent payés uniquement à l'acte, tant qu'ils n'ont aucune imputabilité quant à l'utilisation des ressources qu'ils mobilisent, toute forme de réorganisation administrative de notre réseau de la santé aura autant d'impact qu'une réorganisation des chaises sur le pont d'un paquebot. Le navire continue sa route indépendamment du bon vouloir de ceux qui croient le gouverner.