En commission parlementaire sur le projet de loi 10, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a dit s'inspirer d'un des systèmes les plus performants au monde, celui de Kaiser Permanente, aux États-Unis. Le ministre a exprimé ailleurs sa grande admiration pour une autre organisation phare, la Cleveland Clinic (CC).

La mission de la CC est de «fournir les meilleurs soins aux malades, de rechercher la source de leurs problèmes et de parfaire l'éducation de ceux qui les soignent.» Le centre hospitalier est structuré en trois niveaux: la clinique de première ligne élargie, l'hôpital général régional et des centres ultraspécialisés. Une structure qui pourrait s'apparenter à celle des Centres intégrés de santé et de services sociaux que veut créer le ministre.

La CC possède cependant d'autres caractéristiques que le Québec ne semble pas prêt à offrir. Les voici: continuité de soins absolue, équipes multidisciplinaires de prise en charge, médecins salariés et gérés de manière cohérente, contrat de travail pour les médecins renouvelable chaque année avec évaluation de performance, départements structurés selon une logique de besoins du patient (par exemple, un institut cardiologique et vasculaire). Enfin et surtout, des systèmes d'information orientés sur la mesure de la performance avec un rapport annuel accessible au public. Les patients bénéficient d'un site web d'aide à la décision et d'information personnalisée conçu comme une partie intégrante de l'offre de services.

Kaiser Permanente (KP), seconde source d'inspiration de M. Barrette, énonce une mission plus proche de celle de notre propre système de santé: «Kaiser Permanente existe pour offrir des services de santé de qualité et pour améliorer la santé de nos membres et des communautés que nous desservons.» Ici, priorité à des interventions préventives et précoces à partir de protocoles clairs et de services de première ligne hautement coordonnés hors des hôpitaux. Pour y arriver, Kaiser ne recrute que des médecins qui croient à la promotion de la santé et qui soutiennent une approche interdisciplinaire. Les médecins qu'on juge capables de souscrire aux valeurs de l'entreprise deviennent des associés de KP. Ils deviennent ainsi coresponsables des budgets et de tous les soins. Ils doivent donc transcender les divergences corporatives et fournir un travail interprofessionnel sans failles. Ce choix de gouvernance clinique est caractérisé par une insistance sur la promotion de la santé, la prévention et la participation active des patients (self-care), des modes de soins collaboratifs et une gestion active des patients à l'extérieur de l'hôpital. L'institution s'est aussi dotée d'un ambitieux système de dossiers électroniques. Toute l'information au sujet d'un patient est accessible partout en tout temps et l'organisation peut suivre la performance de ses services de manière pointue et ainsi gérer les problèmes rapidement. Les clients bénéficient d'un accès à une version numérique de leur dossier et d'outils de self-care.

Enfin, pour honorer son engagement de garder son monde en santé, KP investit directement dans le développement communautaire des milieux où elle opère, agissant ainsi sur les déterminants non médicaux de la santé, une action de santé publique.

Au début des années 2000, le système de santé britannique a cherché à s'inspirer du modèle KP. Comme le ministre Barrette le fait dans le projet de loi 10, on n'en a retenu que certaines parcelles et ce fut un échec. Les éléments vitaux auxquels nous avons fait allusion manquaient.

Que conclure? Que si le projet de loi incluait également une redéfinition de la pratique médicale, une véritable approche collaborative de gouvernance clinique, une orientation claire en faveur de la prévention et de la première ligne, des systèmes d'information qui supportent directement la participation des citoyens à leur santé et la gestion intelligente des dossiers médicaux électroniques, alors on pourrait prétendre s'inspirer véritablement de ces modèles performants.