On savait que la mondialisation bousculerait les fondements de notre société. L'accentuation récente de quelques tendances le confirme. Quatre grands équilibres forgés depuis la Révolution tranquille sont désormais menacés.

L'économique et le social

C'est d'abord l'équilibre qui s'est établi entre l'économie néolibérale et les politiques sociales. Entre les années 70 et la fin du siècle, le Québec a tiré profit de la dérèglementation des marchés en augmentant substantiellement ses exportations. Il s'est aussi appuyé sur un entrepreneuriat dynamique, soutenu par l'État.

Alors que d'autres sociétés s'abandonnaient aux effets nocifs du néolibéralisme, le Québec pouvait ainsi lutter efficacement contre la pauvreté et les inégalités. Parallèlement, il maintenait et même étendait son filet social.

Le public et le privé

Le Québec a su pratiquer une forme de capitalisme qui assurait une présence raisonnable de l'État pour contrer les dérives du tout-au-marché. Pour l'essentiel, il a pu également résister aux séductions de la privatisation des services publics. Cet équilibre a été fructueux; il a enrichi notre société et engendré le Québec inc.

L'individuel et le collectif

Une autre tradition québécoise a marié l'individualisme et le communautarisme. L'un et l'autre sont nés principalement de l'expérience du peuplement et des structures de la société rurale. Nos ancêtres défricheurs et agriculteurs, en grande partie laissés à eux-mêmes, ont été dressés à l'école de la débrouillardise. Et qui ne connaît l'image du cultivateur maître de son domaine, jaloux de ses clôtures?

L'originalité vient de ce que cet individualisme n'a pas empêché l'essor remarquable d'un mouvement coopératif qui, dans ses formes présentes, allie justement un héritage de coopération avec les formes avancées du capitalisme.

Nationalisme et libéralisme

D'une façon originale encore, le Québec a réussi, depuis les années 60, à marier un nationalisme fervent avec des politiques progressistes et libérales, respectueuses des droits. C'est une alliance rare dans l'histoire des nations. On note aussi que cette orientation a été soutenue par les deux partis qui se sont succédé au pouvoir.

Les Québécois ne semblent pas être aussi conscients (et aussi fiers) qu'ils devraient l'être de cette remarquable performance. L'influence du «Québec bashing» et l'intimidation qu'il a pu entraîner y sont sans doute pour quelque chose. S'y est ajouté le puissant message venu d'Europe où, avec raison, le nationalisme demeure associé aux pires dérives. On voit l'importance de ne pas confondre les formes violentes de nationalisme qui ont failli détruire le Vieux Continent avec celles, souvent bénéfiques, qui ont pris forme dans d'autres parties du monde.

Des tendances inquiétantes

Tous ces équilibres collectifs appellent maintenant des ajustements; certains, peut-être, devront être réinventés. Mais, pour des raisons diverses, tous sont maintenant menacés. L'inquiétude et, dans certains cas, la panique qui se sont emparées des esprits à cause de la dette publique et des ratés de l'économie accréditent l'idée que le Québec s'est montré trop généreux en matière de politiques sociales et que des coupes radicales s'imposent. Parallèlement, la mondialisation érode le rapport institué entre l'État et l'entreprise privée.

L'initiative récente du Parti québécois, avec son projet de Charte des valeurs, a mis à mal le lien qui unissait le néonationalisme et le respect des droits. L'unanimité que le cabinet des ministres a officiellement manifestée et l'important soutien dont ce projet a bénéficié dans la population font craindre que la conscience des droits civiques se soit émoussée.

Enfin, l'essor d'un nouvel individualisme, en particulier parmi les jeunes, annonce peut-être une américanisation accrue de notre économie et de notre société.

Cependant, les jeux ne sont pas encore faits. Ce bref survol se veut un appel à la vigilance. La pire des réactions serait de baisser les bras.