Malgré les privilèges dont jouit la profession médicale au Québec, la grande majorité des médecins bénéficie d'un capital de sympathie au sein de la population. Cette sympathie tient principalement à la nature des services et des soins prodigués qui ont pour but (et souvent pour effet) de rétablir la santé ou de soulager un mal, physiologique ou psychologique. La santé que nous tenons tous pour la priorité des priorités a un rapport naturel de reconnaissance à la médecine.

Grâce à des connaissances approfondies sur le corps humain, à la maîtrise d'un support technique sophistiqué et à une pharmacologie élaborée, le médecin d'aujourd'hui est un professionnel efficace et performant. Généraliste ou spécialiste, le médecin est en quelque sorte un ingénieur du corps humain.

La médecine peut-elle prétendre que sa science est plus exigeante et plus méritante que celle de l'ingénieur et de tant d'autres professionnels, universitaires, chercheurs, experts, dont les sujets d'analyse et d'intervention requièrent aussi de longues études ainsi que des apprentissages pointus, tout en procurant des services indispensables au développement et à la bonne marche de la société?

Le statut privilégié dont bénéficie le corps médical au Québec, comme dans d'autres provinces canadiennes et États américains, est-il légitimé par la seule particularité de l'objet d'intervention (le corps humain) de cette profession? Bien sûr que non; le contraire serait abusif.

Par l'intermédiaire de leurs fédérations, les médecins négocient leurs conditions de travail, leurs revenus et leurs effectifs qui se partagent la «clientèle» de patients sur le territoire du Québec, par l'application de quotas sur le nombre d'admissions dans les facultés de médecine, conjointement avec le gouvernement. Ils exercent ainsi un contrôle sur la quantité de médecins sur le «marché».

Lors des négociations, la menace de la grève et celle, plus mesquine et cupide, d'abandonner le Québec pour adopter une province ou un «État considéré plus généreux financièrement», sont allègrement brandies et utilisées pour obtenir des gains extravagants sans commune mesure avec toute autre profession ayant une clientèle captive et l'État comme payeur.

Les médecins constituent une véritable caste aux appétits insatiables dont il faudra bien un jour ralentir les ardeurs, car ni leur morale ni leurs ambitions ne semblent sensibles au principe d'équité et aux appels à la modération, notamment dans un contexte de finances publiques difficiles.

Alors que les travailleurs salariés, dont plusieurs à statut précaire, sont mobilisés pour contribuer aux efforts de redressement de la situation financière de l'État, il devient intolérable que les médecins fassent bande à part et manifestent arrogance et mépris envers ceux qui questionnent leurs privilèges.

L'influence politique

Les comportements des Drs Bolduc et Barrette auront causé, pour eux-mêmes et pour l'ensemble de la profession, un préjudice lourd de conséquences. Ils auront de plus relancé, par leurs plaidoyers et leurs propos choquants, un débat dont l'issu va nécessiter plus qu'un appel au calme de la part du premier ministre, troisième membre du triumvirat gouvernemental d'obédience médicale.

Il faut maintenant espérer que les efforts pour résorber cette crise dépassent ces deux cas particuliers pour introduire un peu d'équité et de justice dans les règles et les conditions qui régissent la pratique médicale et le statut des médecins. La rétrogradation des ministres Bolduc et Barrette au rang de simple député serait vu comme le geste d'un leadership fort de la part du chef du gouvernement n'admettant aucune dérive par rapport à son «projet de société juste» et aucune attitude méprisante et arrogante envers quelque groupe ou individu que ce soit.

Ceci dit, nous connaissons tous des médecins de famille et spécialistes dévoués, généreux et attentionnés envers leurs patients. Certains sont mêmes critiques à l'égard des revendications de leur fédération et de certains acquis. L'objectif d'un demi-million de dollars de revenu par année n'est pas la principale motivation d'une bonne part des médecins en exercice.