Mardi dernier, après six mois d'attente, le gouvernement du Canada a accepté et repris les recommandations de la Commission d'examen conjoint du projet Enbridge Northern Gateway, qui consiste à construire un pipeline d'une capacité de 525 000 barils par jour entre l'Alberta et la Colombie-Britannique.

Ce pétrole, issu des sables bitumineux de l'Alberta, serait alors exporté par bateau. Cette approbation gouvernementale, sujette au respect de 209 conditions énoncées dans le rapport indépendant de la commission, est la première depuis longtemps pour une nouvelle construction permettant à l'Alberta d'augmenter sa capacité d'exportation.

Le projet de pipeline Keystone XL (830 000 barils par jour) est toujours en attente d'approbation par le gouvernement américain, et le projet Énergie Est (1,1 million de barils par jour, traversant le Québec) n'est même pas encore à l'étude par l'Office national de l'énergie. Seule l'inversion de la ligne 9B (300 000 barils par jour), arrivant à Montréal, a été approuvée et devrait être effective à fin 2014 ou au début 2015.

Deux grands obstacles

Si la décision du gouvernement canadien peut sembler être une bonne nouvelle pour l'exportation du pétrole albertain, deux grands obstacles restent encore à franchir: l'approbation par les Premières Nations touchées par ce projet et l'adhésion de la Colombie-Britannique. Dans les deux cas, les choses semblent être mal parties. Le grand chef de l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, Stewart Phillip, a publiquement exprimé sa déception quant à la décision du gouvernement. Par ailleurs, le gouvernement britanno-colombien a réitéré la nécessité de satisfaire ses propres conditions avant qu'il puisse soutenir le projet, ce qui est loin d'être le cas.

Pour le Québec, cela aura des implications assez rapidement. Le projet Énergie Est est d'autant plus important pour l'Alberta dans la mesure où Northern Gateway, et peut-être Keystone XL, ne se concrétisent pas. Ce projet, nécessitant la construction d'un nouveau pipeline sillonnant le Québec et le Nouveau-Brunswick, est non seulement le plus gros en termes de volume de pétrole transporté, mais il fait face à moins d'obstacles: pas de gouvernement américain, peu ou pas de passage sur des territoires des Premières Nations et un environnement naturel moins difficile. On évite en effet de traverser les Rocheuses, et la navigation sur la côte Atlantique pose moins de défis que celle le long du fjord menant à Kitimat, ville terminale du pipeline Northern Gateway, où accosteraient les pétroliers.

Le fédéral, un obstacle?

Une opposition québécoise est cependant à prévoir, et le gouvernement fédéral semble ne pas comprendre un élément central de l'opposition aux nouveaux pipelines. Elle réside dans le lien étroit entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et le pétrole, particulièrement au Canada. En ce sens, le principal obstacle à la construction de pipelines pourrait bien être le gouvernement fédéral lui-même, car celui-ci n'offre aucune stratégie crédible de gestion des émissions de GES pour le Canada, lui permettant d'atteindre sa propre cible de réduction d'ici 2020. Pire, il ne tient pas son engagement à mettre en place une réglementation visant les émissions des secteurs pétrolier et gazier et d'autres émetteurs industriels.

Sans cette stratégie de réduction des émissions, le gouvernement n'a rien à répondre aux opposants aux projets de pipeline, qui craignent une croissance du secteur des énergies fossiles, alors que l'humanité doit viser l'inverse.

La démonstration qu'il faut faire, c'est celle de la possibilité d'une cohabitation constructive entre une industrie qui est encore importante pour notre société et des stratégies responsables de réduction de notre dépendance aux énergies fossiles, le pétrole en premier. Avec son marché du carbone, le Québec a bien amorcé la voie. Au niveau fédéral, on semble s'en éloigner. Et cela est une mauvaise nouvelle autant pour l'industrie pétrolière que pour le climat.