Je suis une ex-prostituée, et de lire une lettre qui fait miroiter une vie remplie de belles aventures, de voyages, une évolution intellectuelle avec les clients, m'a donné mal au coeur.

Qu'est-ce qui vous permet de dire «nous», les prostitués? Votre estime personnelle doit être inexistante pour vous définir par des relations prostitutionnelles. Je n'arrive pas à croire, même à penser que vous puissiez être heureux en payant vos activités de loisir que vous avez vous-même nommées: escalade, yoga, écriture, design, photographie, étude, etc. en vendant votre intimité, votre odeur la plus personnelle, votre masculinité, votre temps, si précieux!

Vous utilisez à plusieurs reprises le mot «histoire». Dans le Petit Larousse, une des définitions de ce mot est: «récit mensonger visant à tromper». Je n'aurais su mieux dire. En véhiculant de telles chimères à propos de la prostitution, vous avez peut-être convaincu des jeunes gens de basculer dans ce milieu ou mensonge, drogue, perte d'identité, honte, colère, humiliation sont les vraies réalités.

Je vous cite: «marginaliser sans motifs valables». Qu'est-ce qu'un «motif valable» pour vous? Se lever le matin pour aller faire quelques fellations, sauteries, n'est-ce pas «valable» pour associer marginalité et prostitution? Mentir à sa famille sur ses allées et venues, revenir avec de l'argent et mentir sur sa provenance, n'est-ce pas «valable» pour associer marginalité et prostitution? Ne pas pouvoir avoir de conjoint, d'enfants, parce que l'on consacre son temps, son corps à des inconnus, n'est-ce pas un motif «valable» pour associer marginalité et prostitution? Et le «pimp», le «mac» qui récolte la moitié de l'argent gagné en vendant ses fesses pour son agence, ce que vous semblez glorifier pour la facilité, n'est-ce pas «valable» pour associer marginalité et prostitution?

Vous parlez de grands restaurants, de chambres d'hôtel somptueuses, de voyage à Rome, de ballade en voilier, etc. Mais vous ne dites pas un mot sur le nombre de cunnilingus, de relations anales, de baisers dégoutants, de toutes ces mains inconnues qui vous tripotent; du sentiment de se sentir sale après une journée «à faire des mottés», de ne plus être capable d'être en relation intime avec quelqu'un. La thérapie que ceux et celles souhaitant sortir de cet enfer doivent faire pour retrouver leur identité, ça aussi, vous omettez d'en parler. Vivez-vous dans un monde parallèle? Vous minimisez la dure réalité de la majorité des prostituées.

Savez-vous seulement le prix d'une thérapie, en clinique spécialisée, pour faire la paix avec soi-même après des mois, des années, à définir son identité par la prostitution? Le simple fait de réussir à enlever l'étiquette que je m'imposais, celle de prostituée, est un travail quotidien qui demande une introspection profonde et sincère, ainsi que de l'aide pour réussir à redéfinir qui je suis: une femme, une conjointe, une mère de famille, une fille, une soeur.

Si cela était aussi réjouissant que vous le dites, pourquoi cacher le fait que l'on vit de la prostitution? Que diriez-vous à votre enfant, M. Durocher, s'il vous disait: «J'ai fait 400$ aujourd'hui en faisant des fellations à des inconnus» ? Seriez-vous fier de parler à vos amis de son travail?

Investissons, écoutons, agissons avec les ressources qui veulent abolir la prostitution. La sexualité ne s'achète pas, elle se vit gratuitement.

Je vous souhaite, M. Maxime Durocher, de retrouver votre nature profonde, votre identité, de faire des études qui vont vous amener à un métier «propre» et valorisant, dont vous serez fier et dans lequel vous vous épanouirez et deviendrez vous-même. Payer soi-même ces voyages, ces activités que vous semblez aimer, c'est tellement plus valorisant et gratifiant, que de vendre son corps pour les obtenir.

Pour finir, je vous offre toute ma compassion, monsieur.