Les gouvernements ne sont pas battus; ils se battent eux-mêmes, dit-on. Comme facteur de la défaite probable du PQ, ne sous-estimons pas la fameuse Charte.

Éblouis par les gains d'intention de vote dus à ce projet (surtout chez les électeurs moins scolarisés, selon Youri Rivest, de CROP), les stratèges péquistes ont oublié leur fragilité: plusieurs de ceux qui craignent foulard et kippa ont peur aussi de tout et de leur ombre. Un poing levé et le mot référendum les ont effarouchés.

Entretemps, des militants éprouvés avaient été éloignés du parti ou refroidis par le mépris de ses dirigeants pour des valeurs essentielles, mais fragiles, de notre civilisation: respect pour la recherche des faits, liberté de conscience, pluralisme. Sans que tous renient le PQ, plusieurs ne le défendent plus; leur silence lui coûte cher.

Autre coût: à surfer sur des mythes, on attire des mythomanes, nuisibles à l'image. La direction du PQ a fait pire: elle leur a ouvert les bras. Ainsi, la reine des Janettes a-t-elle été applaudie par Mme Marois et M. Drainville pour son histoire de piscine fermée aux femmes, imaginaire de son propre aveu. On en fait encore les gorges chaudes sur la toile.

Laïciste ultra, la candidate Louise Mailloux, dans une entrevue avec Benoît Dutrizac, affirme sans preuve qu'avec les rituels cachère et halal, «on a laissé le marché alimentaire aux juifs et aux musulmans». Dans la vraie vie, au Québec, la compagnie Olymel, hégémonique dans les abattoirs et la viande en gros (chiffre d'affaires: 2,5 milliards) est une filiale de la Coop fédérée, créature de l'UPA. Dans une logique commerciale, Olymel verse par exemple des honoraires annuels de 2000$ à un iman pour bénir ses volailles. Mais la candidate parle plutôt de «milliards de dollars et à partir de ça, on finance les intégristes religieux les plus agressifs (...) moi, je n'ai aucun doute là-dessus puis y a des gens qui ont des preuves». Comme quoi, crédulité et laïcité peuvent faire bon ménage.

Je comprends l'angoisse de vieux militants, troublés par la place de la bêtise dans la stratégie actuelle du PQ, mais hésitants à délaisser un parti qu'ils ont servi avec ferveur et sincérité pendant des décennies. Le coeur lourd, j'ai quitté le PQ avant l'élection de 2012. Mais pas la cause indépendantiste.

L'inquiétude des désillusionnés s'explique: les libéraux, rassurés de se revoir au pouvoir si peu de temps après en avoir été chassés, ne risquent-ils pas d'être plus arrogants que jamais? Et l'insensibilité de leur chef pour la fragilité du français n'aura-t-elle pas des conséquences irréversibles?

Fort bien. Mais que dire de l'arrogance de la direction actuelle du PQ? Minoritaire, le PQ n'entend pas même les appels des Parizeau, Bouchard, Duceppe et Harel à des compromis sur son projet de charte, et le durcit même à chaque étape. Majoritaire, serait-il moins sourd?

Et peut-on porter au français pire coup que ce saccage de notre relation avec la plus grande immigration francophone que nous ayons jamais reçue, et qu'on pousserait, avec cette charte, à chercher refuge dans les institutions anglophones, où elle resterait inappliquée et inapplicable? Au-delà des législations linguistiques, la bataille du français reste une bataille pour la conquête des esprits et des coeurs. Le projet d'exclusion et d'humiliation du gouvernement Marois ne nous y mène pas.

J'ai voté dimanche dernier, le coeur léger, pour un autre parti souverainiste. Il en existe deux, Option nationale et Québec solidaire, tous deux contre l'article 5 de la Charte des valeurs.

Le 8 avril, nous devrons commencer à reconstruire ce que le gouvernement Marois a détruit. Et reprendre le projet d'indépendance sur des bases inclusives. Il y a de la vie après le PQ.