Comme plusieurs autres sociétés démocratiques, le Québec s'interroge sur le régime de laïcité qui sied le mieux à son contexte particulier. La population québécoise est en outre divisée sur la place de la religion dans les institutions publiques et la façon dont la nouvelle diversité religieuse doit être aménagée.

Par l'adoption de sa Charte des valeurs, le gouvernement du Parti québécois veut entre autres choses répondre au besoin de clarification et de consolidation du modèle québécois de laïcité exprimé par plusieurs citoyens. Un consensus social assez large existe d'ailleurs au sujet de la majorité des dispositions de cette charte. Toutefois, l'article 5, qui interdit au personnel des organismes publics de porter des signes religieux, fait l'objet de vives contestations.

Le Québec jouit d'un espace juridictionnel lui permettant d'élaborer un modèle distinct de laïcité et d'intégration à l'intérieur de la fédération, mais ce modèle doit être compatible avec l'ordre normatif fédéral - un ordre qui le dépasse, mais à l'édification duquel il contribue.

Or, tout porte à croire que l'interdiction mur à mur des signes religieux pour les employés des organismes publics ne pourrait résister à un contrôle de constitutionnalité. Assurer la neutralité de l'État à l'égard des convictions morales et religieuses des citoyens est sans conteste un objectif législatif de la plus haute importance, mais il peut être atteint sans forcer une minorité de citoyens à choisir entre le respect de leurs convictions de conscience et un emploi dans le secteur public ou parapublic.

Débat sain, avec dérapages

Les observateurs des autres provinces canadiennes auraient tort de réduire le débat québécois à la xénophobie et à la religiophobie. Des visions concurrentes du vivre-ensemble et de la place de la religion dans la vie publique sont en jeu. Il est sain qu'une société débatte de questions de cet ordre.

Des cas comme ceux des mécanismes d'arbitrage fondé sur la religion en matière de droit de la famille en Ontario et du refus de la mixité à l'Université York suggèrent que les provinces anglophones auraient tout intérêt à examiner leurs propres politiques d'aménagement de la diversité et de prise en charge des demandes d'accommodement.

Cela étant dit, les analystes politiques les plus crédibles s'entendent pour affirmer que le Parti québécois inscrit son action dans le cadre d'une «politique de la division»; la laïcité est utilisée comme «wedge issue».

Une des conséquences les plus déplorables du débat sur la Charte de la laïcité est la montée de l'islamophobie. Tout porte à croire que le coût social lié à l'expression d'opinions islamophobes ou même au harcèlement de citoyens de confession musulmane a baissé depuis le début du débat. Ces actes doivent être dénoncés avec la plus grande vigueur, en particulier par les élus.

La laïcité québécoise est le fruit d'une longue évolution historique, incluant une phase d'accélération importante pendant la Révolution tranquille. Cette approche gradualiste s'est poursuivie dans les années 90 et 2000 avec l'approfondissement du processus de laïcisation de l'école québécoise.

La sagesse politique exigerait l'adoption d'un texte législatif ou d'un énoncé politique qui préciserait, formaliserait et codifierait, en s'appuyant sur le consensus social existant, le modèle québécois de laïcité, ainsi que la procédure permettant de gérer les demandes d'accommodement.

Cette action politique aurait le grand mérite de combler le vide législatif au sujet du rapport entre l'État et les religions et de répondre aux besoins de repères exprimés par plusieurs intervenants, sans contribuer à la détérioration du climat social. La perpétuelle discussion publique sur les défis du vivre-ensemble dans une société diversifiée pourrait ensuite reprendre dans un cadre plus clair et dans un contexte social pacifié.