Au grand déplaisir du gouvernement Harper, la Cour suprême vient de rappeler une nouvelle fois que le principe fédéral est au coeur de la dynamique politique de ce pays et qu'il emporte des conséquences institutionnelles. Selon une majorité de juges de la Cour suprême, le gouvernement Harper n'a pas respecté l'objet des dispositions de la Loi sur la Cour suprême en sélectionnant Marc Nadon, juge de la Cour fédérale, pour siéger au plus haut tribunal du Canada afin de représenter le Québec.

Ces dispositions, disent les juges majoritaires, sont le fruit d'un compromis historique sans lequel la Cour suprême n'aurait jamais vu le jour en 1875. Les députés du Québec s'étaient alors opposés au projet, craignant la mise sur pied d'un tribunal «composé de juges, dont la grande majorité ignorerait les lois civiles du Québec, lequel tribunal serait appelé à réviser et aurait le pouvoir de renverser les décisions de toutes les cours du Québec» (Henri-Thomas Taschereau, député de Montmagny, 1875).

C'est en raison de cette opposition qu'une représentation québécoise a finalement été garantie, prévoyant aujourd'hui qu'«au moins trois des [neuf] juges sont choisis parmi les juges de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure de la province de Québec ou parmi les avocats de celle-ci.»

Les juges majoritaires ont interprété la Loi comme signifiant que seules des personnes actuellement juges à la Cour d'appel ou à la Cour supérieure du Québec, et seuls des avocats actuellement inscrits au Barreau du Québec peuvent être nommés à la Cour suprême. M. Nadon ne se qualifiait donc pas.

Selon les juges majoritaires, cette interprétation permet d'assurer le respect de l'asymétrie institutionnelle de la Cour suprême du Canada, asymétrie favorable au Québec et dictée par le principe fédéral sur lequel repose l'État canadien.

En tant que principal arbitre judiciaire des conflits entre les provinces et le gouvernement central, et en tant qu'ultime autorité judiciaire en matière de détermination des droits des uns et des autres, la Cour suprême doit refléter la nature plurielle de la communauté politique canadienne.

Or, la différence québécoise est au coeur de ce pluralisme. Les trois représentants québécois à la Cour suprême n'ont donc pas pour seule fonction d'être les porte-voix de la tradition de droit civil québécoise. Ils doivent également, disent les juges, assurer que «les valeurs sociales distinctes du Québec... soient représentées [à la Cour], pour renforcer la confiance des Québécois envers [celle-ci] en tant qu'arbitre ultime de leurs droits.»

Bref, une compétence technique en droit civil ne suffit pas pour bien représenter le Québec. La légitimité de la Cour suprême, déjà l'objet d'une démonisation au Québec, requiert du candidat qu'il puisse se réclamer d'une appartenance étroite et contemporaine à l'univers québécois.

Une question de confiance

Un juge québécois siégeant à la Cour fédérale, peu importe sa compétence, n'a donc pas la proximité requise pour générer le potentiel symbolique nécessaire au renforcement de la confiance des Québécois. Comme l'affirment les juges, ce souci d'assurer la légitimité de la Cour vient donc «limiter le pouvoir discrétionnaire» du premier ministre dans la sélection des candidats.

Après l'invalidation du projet de loi fédéral sur la procréation assistée et de celui sur les valeurs mobilières, la Cour vient de rappeler encore une fois au gouvernement central que le Canada n'est pas un État unitaire. Tout cela augure bien mal pour le projet de modification unilatéral du Sénat sur lequel la Cour suprême réfléchit actuellement.

Quant à Mme Marois, elle doit rager de voir la Cour suprême confirmer, pour la deuxième fois en peu de temps, que le fédéralisme n'est pas qu'un vain mot et que la différence québécoise se voit accorder l'importance qu'elle mérite là où il importe qu'elle le soit.