Nous habitons Montréal, y travaillons, la visitons. Nous fréquentons le centre-ville, les quartiers centraux. Nous sommes habitués à croiser des personnes itinérantes, parfois perturbées, souvent amochées, fréquemment intoxiquées, quelquefois harcelantes, du moins dérangeantes pour notre quotidienne quiétude.

Nous sommes habitués, mais nous ne nous y sommes jamais tout à fait habitués. Alors, nous détournons le regard la plupart du temps. Nous faisons semblant de ne pas les voir, de ne pas être trop déstabilisés par leur présence dérangeante et indésirable dans nos rues, dans nos vies. Les personnes itinérantes sont le reflet de ce que nous ne voulons pas voir : les ratés de notre tissu social. Le sable dans la moulinette de notre collectivité.

Mes études de maîtrise en criminologie, il y a une vingtaine d'années, m'ont permis de réfléchir aux enjeux de réadaptation que présente la prévalence de problématiques multiples - toxicomanie, troubles de santé mentale, instabilité sociale, itinérance, judiciarisation - chez certaines clientèles marginalisées. À cette époque, on s'inquiétait déjà de la difficulté à offrir une aide cohérente et structurante à ces personnes au profil psychosocial problématique et complexe. Les services de police, les hôpitaux, les centres de réadaptation, les ressources communautaires peinaient à les rejoindre et à les aider.

La spirale de l'exclusion sociale éjecte depuis des décennies ces concitoyens mésadaptés et souffrants des réseaux d'aide en raison de la lourdeur des nombreuses problématiques qui affectent leur parcours de vie. À l'instar du réseau des services institutionnels et spécialisés, les ressources d'aide et de soutien communautaire déploient depuis longtemps de grands efforts afin de leur venir en aide. Cependant, la coordination des énergies envers ces plus démunis demeure difficile, car elle exige une réelle volonté politique de resserrer des liens de cohérence et d'efficience entre les acteurs, tout en investissant les ressources financières et humaines qu'un tel défi nécessite.

Enfin une volonté politique

Prendre soin des clientèles marginalisées, fort dérangeantes au plan social, demeure une action peu payante sur le plan politique. Il aura malheureusement fallu un cumul de tragiques événements, impliquant l'explosif cocktail de multiples problématiques en situation de crise, pour que les volontés politiques s'expriment enfin. Nonobstant les interrogations qui persistent quant à la traduction des intentions de la nouvelle Politique nationale de lutte à l'itinérance en actions concrètes et agiles, il est nécessaire de saluer la détermination et le leadership de la ministre Véronique Hivon dans la conduite du changement qui semble s'amorcer.

Lorsqu'une politicienne décide de regarder franchement une difficile réalité et d'agir avec célérité, elle endosse le rôle de modèle et, conséquemment, aide l'ensemble de notre collectivité à choisir une autre voie comportementale que celle de détourner le regard. Ainsi, le leadership inspirant et courageux des élus contribue à nous élever, individuellement et collectivement, au-dessus de l'inconfort que nourrit notre sentiment d'impuissance. Voire à transformer notre apparente indifférence en un regard bienveillant, empreint de compassion et de respect.