Qu'on soit d'accord ou non avec le projet de charte, on ne peut que déplorer les procédés utilisés par les dirigeants péquistes pour en faire la promotion. En jetant un regard sur les derniers mois, voici ce que les faits donnent à voir.

Mensonges et distorsions

Sans s'appuyer sur aucune étude, le ministre Drainville répète que la pratique des accommodements religieux viole les valeurs du Québec, notamment l'égalité homme-femme, et qu'on fait face à une accumulation de demandes déraisonnables.

Il affirme aussi que les accommodements créent des inégalités, des privilèges, et qu'ils souffrent d'une absence de balises, donnant ainsi à entendre que les demandeurs n'en font qu'à leur tête. Les Québécois, bonasses, laisseraient faire. Conclusion: il faut d'urgence mettre fin à ces dérapages, il est temps de se tenir debout (ou, selon la très élégante expression du ministre, de «mettre ses culottes»).

Ce genre d'appel fait toujours vibrer une corde sensible au Québec, où elle évoque les diverses formes de dépendance et d'humiliation subies dans le passé. Sauf que, dans ce cas-ci, au lieu d'appeler à un sursaut d'honneur et de solidarité dirigé contre les puissants, elle prend pour cible des citoyens parmi les plus vulnérables de notre société.

Autres mensonges et distorsions: le projet est conçu dans un esprit d'inclusion, d'égalité et de respect des différences («tous égaux à la table de la cuisine», le projet «ne vise aucun groupe en particulier»); il va réaliser l'harmonie, l'unité des Québécois; il va protéger les droits de tous les citoyens. On apprend aussi que l'État et l'Église ne sont pas vraiment séparés institutionnellement au Québec.

La palme revient à Mme Marois qui donne la France en exemple en matière d'intégration des immigrants, tout particulièrement les immigrants d'Afrique du Nord, alors même qu'elle constitue un retentissant échec.

Des manoeuvres douteuses

On martèle le thème de l'égalité homme-femme sans annoncer aucune mesure concrète qui la ferait avancer. On assimile le projet de charte au combat de la loi 101 en se gardant de rappeler que, dans ce dernier cas, l'enjeu, fortement documenté, n'était rien de moins que l'avenir de la francophonie québécoise - quel serait l'équivalent, actuellement, qui justifierait de supprimer les droits de certains citoyens? Dans un élan de démocratie, le gouvernement invite la population à faire connaître son avis sur le projet, mais il interdit l'accès aux résultats de cette grande consultation.

On fait appel aux vertus de la «majorité silencieuse» que l'on oppose implicitement au paternalisme méprisant des universitaires «décrochés du réel» (mais n'est-ce pas leur métier que d'étudier la réalité?). On laisse s'éveiller dans une partie de la population des sentiments primaires de xénophobie et des peurs irraisonnées (le grand complot islamiste secrètement à l'oeuvre au Québec, la prise de contrôle de notre société par les musulmans: «ils refusent de s'intégrer», «ils nous imposent leurs valeurs», «ils ne respectent pas nos lois», «ils nous envahissent»).

Ajoutons à cela les falsifications et manipulations contenues dans la brochure diffusée en décembre par le Parti québécois: l'évaluation inexacte des appuis à la Charte, le résumé trompeur des résultats des sondages, la citation tronquée des propos d'Amir Khadir, etc.

Démagogie

On ne jure que par «le peuple» mais on se comporte à son égard d'une façon très irrespectueuse en lui servant des faussetés, sachant que plusieurs citoyens, faisant confiance à leur gouvernement, ne les reconnaîtront pas. On dresse «les élites» contre «le vrai monde».

Pour ce qui est de la connaissance du terrain, on s'en remet aux perceptions courantes plutôt qu'aux études rigoureuses. En matière de suppression des droits, on s'appuie sur le précédent créé par trois ou quatre pays ou régions d'Europe en faisant abstraction de toutes les démocraties du monde qui ont choisi de respecter les libertés, y compris en Europe même. Et on évite soigneusement de parler des traités de droit internationaux auxquels le Québec est assujetti.

Il fallait que tout cela survienne dans le grand parti que fut celui de René Lévesque, si soucieux des droits et de la démocratie, si attaché à la transparence, et dont l'héritage a été fidèlement perpétué par des générations de politiciens et politiciennes, jusqu'à ce qu'il soit perverti par nos actuels dirigeants. C'est triste.