Professeur à HEC Montréal, l'auteur collabore régulièrement aux pages Débats.

Avec l'hiver qui s'installe, Hydro-Québec entre dans la période la plus complexe de l'approvisionnement électrique. Il lui faut en effet servir une consommation d'électricité avoisinant à son maximum les 39 000 MW, près du double de la demande en été (21 000 MW).

Cela est dû à un aspect distinct du Québec: son choix du chauffage électrique. Près de 80% des foyers québécois se chauffent à l'électricité (contre seulement 66% en 1990), alors que la tendance est complètement inverse chez nos voisins: en Ontario seulement 16% des ménages se chauffent à l'électricité, en baisse des 20% de 1990. À New York et en Nouvelle-Angleterre, cette proportion est sous les 10%.

L'explication de ces énormes différences se trouve dans notre hydroélectricité à bon marché. À première vue, cela pourrait sembler être un bon choix économique et environnemental, étant donné les faibles coûts d'installation et d'utilisation du chauffage électrique, ainsi que les très faibles émissions de gaz à effet de serre (GES) de l'hydroélectricité. Cependant, cette tendance vers davantage de chauffage électrique est complètement à revoir. Deux raisons principales l'expliquent: les coûts de l'approvisionnement électrique et la croissance de l'utilisation du gaz naturel pour produire de l'électricité chez nos voisins.

Dans notre système actuel, tout le réseau d'Hydro-Québec est calibré pour une demande de pointe qui ne survient que quelques jours par année: lors des grands froids. C'est en effet uniquement le chauffage qui fait passer la demande de pointe de 21 000 l'été à 39 000 MW l'hiver. C'est comme construire un pont Champlain à 10 voies pour s'assurer d'une absence de congestion. Cela ferait des heureux, mais les coûts exploseraient. C'est la situation actuelle en électricité, avec, en plus, la nécessité d'importer à grands frais de l'électricité.

Par ailleurs, s'il peut sembler écologique de se chauffer à l'hydroélectricité, cette apparence tombe, lorsqu'on réalise que nos voisins immédiats brûlent de plus en plus de gaz naturel pour produire leur électricité. Le problème, c'est qu'il est plus efficace de se chauffer au gaz naturel que de produire de l'électricité avec ce combustible. C'est la raison pour laquelle nos voisins chauffent peu à l'électricité.

C'est aussi pourquoi il serait plus écologique, et globalement plus économique, d'exporter plus d'hydroélectricité, quitte à se chauffer davantage avec du gaz naturel. Nos exportations d'hydroélectricité éviteraient de brûler du gaz naturel pour l'électricité. Oui, nous importerions plus de gaz naturel, mais moins que les quantités évitées chez nos voisins. Globalement, les émissions de GES diminueraient. Il y aurait des gains d'efficacité à tous égards.

Évidemment, ce ne sont pas les seules actions urgentes à mener. Utiliser les compteurs «intelligents» de manière intelligente, c'est-à-dire non pas pour uniquement lire à distance la consommation, mais pour limiter la consommation aux heures critiques, contre compensation, chez des consommateurs volontaires. Cela éviterait d'avoir à gérer une pointe de consommation sans cesse croissante, en annulant ou déplaçant des usages lorsque le réseau n'est pas pleinement utilisé.

Aussi, il faudrait favoriser davantage l'efficacité énergétique des bâtiments par des mesures d'information, de réglementation et de prix. La simple utilisation de thermostats programmables peut réduire la consommation de chauffage de 10%. De multiples autres initiatives pourraient ainsi réduire la consommation, sans compromis sur la qualité de vie.

Avec 20% de notre consommation énergétique totale dédiée au chauffage, et un engagement pour la réduction des émissions de GES, la nouvelle politique énergétique québécoise de 2014 ne peut pas ignorer les enjeux spécifiques du chauffage. Sans changer de cap en énergie, nous allons, comme en transport et en santé, continuer d'investir dans de lourdes infrastructures qui ne corrigent en rien nos habitudes. Elles ne font pourtant que plomber notre budget et notre empreinte environnementale.