J'ai lu avec grand intérêt la lettre du docteur Gilles Julien que votre journal a publiée le 22 novembre 2013 en réaction à l'émission Enquête diffusée la veille à Radio-Canada. Ayant oeuvré comme travailleur social et directeur de la protection de jeunesse pendant une quinzaine d'années dans la région de Montréal, les événements rapportés dans cette émission m'ont stupéfait. J'endosse sans réserve l'opinion exprimée par le docteur Julien dans sa lettre.

Bien sûr, si le médecin a des motifs raisonnables de croire qu'un enfant a été victime de maltraitance, il se doit, et la Loi sur la protection de la jeunesse le souligne, de signaler la situation au directeur de la protection de la jeunesse. Mais une fois le signalement effectué et la direction de la protection de la jeunesse alertée à la situation, il ne lui appartient pas de faire l'évaluation de la situation globale, de décider si l'enfant est en besoin de protection, et de dicter les mesures à prendre soit de façon urgente, soit à plus long terme.

Comme le stipule la Loi, la tâche d'évaluer la situation - c'est-à-dire d'examiner si les soupçons s'avèrent fondés et si les faits établis mettent en danger la sécurité de l'enfant - appartient au directeur de la protection de la jeunesse et aux gens qu'il a délégués pour effectuer ces tâches. Ces derniers mettront à profit l'expertise du médecin qui a signalé et de toute l'équipe qui l'entoure, mais le tout devra se faire avec prudence, en évitant d'accuser avant d'avoir terminé l'évaluation, et surtout en donnant aux parents et, le cas échéant à l'enfant, la chance d'être entendus.

Dans ce que j'ai entendu à l'émission, il n'est pas du tout clair que les choses se soient passées ainsi. Le silence de la direction de la protection de la jeunesse, qui n'a fait aucun commentaire sur l'affaire, m'inquiète au plus haut point.

Est-ce à dire qu'après le signalement, les autres étapes ont été confiées aveuglément au seul médecin qui avait signalé la situation et à l'équipe sociojuridique de l'Hôpital Sainte-Justine? Le directeur de la protection de la jeunesse, via ses délégués et experts, a-t-il été partie prenante aux décisions ultérieures? En d'autres mots, à la suite du signalement, la clinique sociojuridique de Sainte-Justine a-t-elle été la seule à prendre les décisions? Si oui, il s'agit d'un sérieux dérapage et si cette pratique est répandue, il faut de toute urgence réagir et corriger la situation.

La maltraitance des enfants, surtout de ceux qui ne sont pas en mesure de prendre la parole, est un phénomène grave qu'il faut prévenir le plus possible. Mais il faut le faire en évitant d'accuser injustement ou trop rapidement les parents, comme cela semble avoir été le cas dans les situations rapportées. Il faut surtout être à l'écoute de ce que les parents ont à dire.