Deux reproches reviennent fréquemment dans la critique adressée par les partisans de la «charte des valeurs» à ceux qui s'y opposent au nom d'un idéal de tolérance. Un premier reproche veut que ces derniers soient des relativistes. Le second voudrait qu'ils adhèrent au multiculturalisme. Il suffirait d'associer la position des opposants de la charte à l'une ou l'autre de ces positions pour les discréditer.

Mais qu'en est-il vraiment?

Commençons par la première de ces deux accusations. Un relativiste est quelqu'un qui croit qu'il est impossible de critiquer les us et coutumes de différents groupes humains. Toutes les positions étant équivalentes, il faudrait donc selon cette vision des choses tolérer toutes les croyances et toutes les pratiques.

Il ne faut pas être professeur de logique pour voir que cet argument est fallacieux. Si toutes les positions morales se valent, alors celle de l'intolérant ne peut pas être critiquée au nom de la tolérance. Défendre la tolérance, ce n'est pas s'abstenir de juger.

Mais quels sont les jugements moraux qui fondent la tolérance? Premièrement, la tolérance est fondée sur l'idée qu'il existe une pluralité de manières de vivre qui sont dignes de respect. La contrepartie de cette affirmation est cependant que certaines pratiques doivent être condamnées. N'en déplaise aux pro-charte, une posture de tolérance sait faire la différence entre le port d'un foulard par une femme et un crime d'honneur.

Deuxièmement, le partisan de la tolérance estime qu'avant de critiquer des pratiques qui dérangent, il faudrait d'abord les comprendre. Il pense également par ailleurs que la compréhension ne peut se faire en imposant à d'autres des interprétations de leurs propres us et coutumes dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas. La tolérance exige une posture d'écoute, une disposition au dialogue.

Cette posture est notamment absente de ceux (et, il faut bien le dire, de celles) qui affirment mieux connaître que celles qui le portent la réelle signification du voile islamique. Ils (et elles) le rejettent tout en rejetant les interprétations qu'en offrent des femmes qui en font usage. 

Toute femme attribuant une valeur à son foulard qui ne se réduit pas à son acceptation d'une idéologie patriarcale serait taxée de fausse conscience, d' «aliénation». Il y a là un mépris de l'autre qui ressemble à s'y méprendre à celui des missionnaires qui, naguère, prétendaient connaître mieux que les «sauvages» la voie du Salut.

Qu'en est-il du multiculturalisme? Quoi qu'en disent les défenseurs de la Charte, il est possible de s'opposer à ce projet sans pour autant adhérer à cette idéologie. On peut espérer une convergence culturelle plus importante que celle que revendique le multiculturalisme tout en pensant qu'une condition d'un vivre ensemble est le respect des droits individuels. 

Les droits individuels ne sont pas absolus, certes, mais leur restriction au nom d'un objectif de politique publique exige une démonstration. Le gouvernement du Parti québécois n'a pas cru bon de fournir une telle justification, contrairement par exemple au gouvernement de René Lévesque, qui avait dans le cas de la loi 101 produit une foule d'études empiriques démontrant à l'envi que cette loi était nécessaire pour la survie du français au Québec.

Il est également possible de s'opposer au projet de charte en vertu du caractère pour le moins paradoxal d'un projet visant un meilleur «vivre ensemble» à coups de prohibitions. Les Québécois sont pourtant bien placés pour savoir que le déni de l'identité des individus par la force de la loi, bien loin de produire de la convergence culturelle, ne fait que promouvoir des réactions identitaires.

Ainsi, la posture de tolérance que revendiquent les opposants de la charte n'est fondée ni sur le relativisme ni sur le multiculturalisme. Il incombe aux partisans de la charte de répondre à leurs arguments, plutôt que de brandir des slogans et d'agiter des épouvantails.