Janette Bertrand est une incontournable de la lutte pour les droits des femmes. Je l'admire.Mais aujourd'hui, je ne suis pas Janette.C'est en tant que féministe que je ne peux pas la suivre.

L'égalité homme-femme s'incarne en premier lieu par des droits et des libertés. Le droit de vote. La liberté reproductive. Le droit à des services de santé, à l'éducation, à l'emploi et à un salaire équitable. La lutte féministe vise aussi l'augmentation des choix qui nous sont permis: se marier ou pas, avoir ou non des enfants, travailler à l'extérieur du foyer ou pas, choisir un métier non traditionnel.

Dans une société démocratique, les limites à imposer relèvent d'une entrave à l'exercice des droits et libertés d'autrui. On prétend qu'il faut agir pour protéger nos droits et libertés, mais jamais n'a-t-on démontré comment le fait qu'il y ait des femmes qui portent un foulard va faire du Québec une société qui ne respecte pas les droits des femmes. Ce qu'on dit relève de la peur, non pas d'un empiètement sur nos droits et libertés.

Nous avons compris que l'interdiction de la kippa juive et le turban sikh ressemble à un dommage collatéral, même si on pourrait espérer qu'après des siècles de cohabitation paisible avec la communauté juive en particulier, on se garderait une petite gêne avant d'interdire ce qui n'a jamais posé problème. Mais enfin, on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs et il nous faut bien passer par là pour arriver à celle qu'on vise: la femme qui porte un foulard.

C'est la femme qui est visée, comme très souvent au cours de l'histoire. Celle qui dérange. Pour s'en défaire, on lui enlève un droit et on limite ses choix. On l'insulte et la bouscule. On la traite de folle ou, plus gentiment, de «manipulée». Avant même de lui arracher son foulard, on l'a déshumanisée. Elle n'est plus femme; elle est le mal dont nous ne voulons pas.

L'accompagnement proposé pour la ramener dans le droit chemin ressemble au discours d'une ancienne église qui se voulait accueillante pour les pécheresses qui faisaient l'amour avant le mariage ou choisissaient d'empêcher la famille: «C'est le péché qu'on n'aime pas; alors, confessez-vous et vous serez pardonnées».

C'est parce que je suis féministe que je rejette cette vision. Je veux que toutes femmes aient les mêmes droits et les mêmes libertés, y compris la liberté de croire ce que je ne crois pas et d'être ce que je ne suis pas.

Si l'on veut l'égalité des hommes et des femmes au Québec, accordons à toutes les femmes un accès à l'autonomie économique qui ne peut venir qu'avec un emploi. Finançons adéquatement les centres d'aide aux femmes victimes de violence conjugale et les services d'aide aux adolescentes qui perdent leur avenir et parfois leur vie au profit de proxénètes. Assurons-nous que les enfants soient bien nourris et en santé.

Finalement, on nous promettait une charte de la laïcité; on se retrouve avec une charte des valeurs. L'art de gouverner dans une société démocratique consiste à faire cohabiter dans un même espace des gens dont les valeurs peuvent varier; revenons donc à une charte de la laïcité, un langage clair et moins émotif.

À maints égards, nous avons déjà un état laïc et on pourrait facilement s'entendre pour dire: qu'un citoyen a le droit de recevoir des services publics sans égards aux croyances religieuses de celui ou celle qui les offre; qu'un citoyen ne peut pas s'attendre à recevoir un service déraisonnablement personnalisé en fonction de ses croyances; et qu'il vaut mieux se voir quand on se parle. C'est déjà bien.

À tant craindre l'islamisation, on risque d'oublier que des intégrismes, il y en a de toutes sortes. Celui de la laïcité présente de toute évidence un danger plus immédiat.