Dans le débat sur l'aide médicale à mourir les positions des partisans et des adversaires du projet de loi s'affrontent sur le plan de principes moraux, éthiques, et philosophiques. Il n'est donc pas étonnant de voir ce débat se polariser, car nous sommes dans le domaine des opinions et des croyances de chacun, par définition très variables d'un individu à l'autre. Il me semble cependant que deux aspects ont été négligés dans ce débat: la liberté du médecin et la définition de l'acte de soigner.

Le Dr L'Espérance appuie son support au projet de loi sur le droit du patient à choisir le moment de sa mort et fonde la collaboration du médecin sur la relation thérapeutique qui accompagne l'autre dans sa démarche sans le juger, donnant à la compassion fraternelle du médecin sa dimension ultime.

Cette argumentation me paraît tout à fait respectable. Elle reflète probablement l'opinion de la majorité des médecins et du public. Il paraît donc étrange que l'on veuille s'y opposer. Au nom de quelle croyance le ferait-on?

Le problème est le suivant: l'argumentation du Dr L'Espérance justifie que l'acte d'interrompre la vie à la demande de la personne cesse d'être un crime. C'est ce qui se passe en Belgique où l'aide médicale à mourir n'est pas poursuivie par la justice. Cette aide reste cependant dépendante de la volonté libre du médecin qui y participe et n'a pas été définie comme un soin.

Là sont les deux grandes différences avec le projet de loi québécois. Dans ce projet de loi, l'aide médicale à mourir est définie comme un soin, c'est-à-dire comme une procédure à laquelle tout citoyen a droit. Il ne sera donc pas possible à un médecin de refuser d'y participer, soit en effectuant lui-même le geste, soit en donnant au patient l'information nécessaire. La liberté du médecin de refuser, pour toutes sortes de raisons éthiques, morales, ou philosophiques de participer à l'aide médicale à mourir est donc supprimée par le projet de loi.

De plus, l'aide médicale à mourir fera partie de la description des tâches du médecin québécois et aucun médecin ne pourra prétendre exercer son métier en ignorant cette tâche.

Quant à la définition de l'aide médicale à mourir comme soin, elle me semble poser un problème d'ordre éthique. En effet, le code professionnel des médecins leur fait obligation de proposer à leurs patients des soins dont l'efficacité repose sur des données probantes. Nous pratiquons une médecine fondée sur la science.

Or, il n'existe par définition aucune donnée probante indiquant que mettre fin aux jours d'un patient mettra fin à ses souffrances. Pour affirmer cela, il faut invoquer la croyance selon laquelle la vie s'arrête après la mort. Cette croyance, très répandue aujourd'hui, est respectable, mais ce n'est que cela, une croyance.

Il n'est donc pas possible de mettre fin aux jours d'une personne en prétendant la soigner, même s'il apparaît justifié de le faire pour répondre à sa demande.

Les deux points que je viens de soulever, la liberté du médecin et l'acte de soigner, ne feraient pas partie du débat si le Québec, comme la Belgique, était un pays. En effet, c'est parce que la décriminalisation de l'aide médicale à mourir dépend du gouvernement fédéral que le gouvernement du Québec a fait de ce geste un soin, la santé étant de juridiction provinciale.

Je pose donc la question: les médecins du Québec vont-ils perdre le droit de s'opposer à un geste s'ils le désapprouvent parce que le Québec est une province?