La faillite de Lehman Brothers a déclenché une spirale mortelle. Toutes les sociétés financières américaines et européennes, imbriquées les unes dans les autres par des produits financiers complexes, se sont révélées vulnérables et fragiles.

Un vent de panique soufflait en tourmente. Les autorités politiques et réglementaires étaient dépassées, déboussolées. Le Trésor américain allonge 700 milliards de dollars pour racheter les actifs toxiques sur les bilans des banques. Le 16 septembre 2008, la société AIG, plaque tournante des opérations d'achat de protection contre les risques de déconfiture, reçoit un support financier de 82 milliards des mêmes autorités américaines qui, l'avant-veille, avaient refusé toute aide à Lehman.

Ce support à AIG allait éventuellement atteindre 182 milliards, dont les principaux bénéficiaires seront les banques d'affaires comme Goldman Sachs et Merrill Lynch et les banques comme Deutsche Bank, Société Générale et Barclays.

La tempête passe. Le monde entier constate avec stupeur l'ampleur des dégâts et les coûts qu'ont dû assumer les États pour contenir la crise. L'économie réelle de presque tous les pays développés entre en période de récession.

La colère des citoyens est palpable; elle se manifeste bruyamment à Washington et dans les autres capitales. Les politiciens, terrorisés par la possibilité que les citoyens les rendent responsables de ce fiasco, haranguent toute la gent financière. Le mouvement «Occupy Wall Street» tente d'allumer une ferveur révolutionnaire, mais le moment passe sans suite.

De multiples comités et commissions sont chargés de faire rapport sur comment cette crise s'est faite et comment elle aurait pu ne pas se faire. Les ouvrages sur le sujet foisonnent en librairie.

On y constate l'incroyable légèreté d'une dérèglementation massive du système financier. On y décrit les fastueuses rémunérations touchées par des dirigeants ayant pourtant mené leur société au bord de la faillite. On cherche à comprendre l'imbroglio de «produits» financiers ésotériques qui se sont avérés périlleux et toxiques. On pointe du doigt les agences de notation trop complaisantes dans leur évaluation de ces nouveaux produits. On tente de cerner le rôle joué par les spéculateurs de tout acabit. On saisit bien comment la crise a été provoquée en bonne partie par la turpitude et l'appât du gain dans le secteur financier.

Les projets de loi, les nouveaux encadrements réglementaires, les mesures préventives fusent de partout, du G20, de l'Union européenne, de Bâle et surtout de Washington. Le Congrès adopte en juillet 2010 la loi Dodd-Frank, ayant pour but de mettre en place une réglementation et une supervision des marchés financiers à la hauteur des risques que les manigances financières représentent pour la société civile.

Or, les acteurs du système financier, temporairement désarçonnés et craintifs, ont vite compris que le pouvoir qu'ils exerçaient sur l'appareil politique américain les mettait à l'abri de grands bouleversements dans le fonctionnement du système financier.

Les trois mécanismes de protection de leurs intérêts ont été massivement mis à contribution: le lobbying (dépenses de 2,4 milliards); les contributions aux campagnes électorales (708 millions); la porte tournante entre le gouvernement fédéral et les institutions financières.

La mise en oeuvre de la loi Dodd-Frank est ralentie, voire bloquée, par des manoeuvres politiques ainsi que par des contestations devant les tribunaux. Plusieurs pans de la nécessaire réforme restent en suspens depuis plus de trois ans. 

Bien que certaines mesures mises en place donnent plus d'autorité aux régulateurs, rien, ou presque, n'a été fait pour composer avec certaines causes de la crise financière: les produits dérivés ne sont pas encore soumis à un quelconque encadrement réglementaire; les niveaux et formes de la rémunération dans le secteur financier restent pratiquement inchangés; les agences de notation ont conservé l'essentiel de leurs prérogatives.

En fait, aucune mesure mise en place depuis la crise financière de 2008 ne change fondamentalement le caractère du système financier international, les motivations qui l'animent et la cupidité qui l'infecte. De là viendra la prochaine crise...