La tragédie de Lac-Mégantic a mis à l'avant-scène de l'actualité la réalité du transport des matières dangereuses dans nos collectivités et les dangers qui y sont associés. Les craintes du public sont vives et les appels à de meilleurs contrôles sont nombreux, à juste titre.

Ces substances sont pourtant essentielles à notre bien-être. Elles nous permettent de chauffer nos demeures et nos installations industrielles et commerciales (gaz naturel, propane, mazout), de purifier notre eau potable (chlore), de réfrigérer nos aliments et nos arénas (ammoniac), de nous vêtir (fibres textiles) et de nous déplacer (essence, diésel). Ces matières sont fabriquées, entreposées, transportées, utilisées et éliminées au sein même de nos collectivités, la plupart du temps à notre insu.

Le transport ferroviaire n'est qu'un mode de transport parmi d'autres, dont les pipelines, les camions, les navires et les contenants de plus petit volume (conteneurs, barils, etc.). Tous ces modes de transport sont présents au coeur même de nos municipalités et partagent des corridors de circulation avec d'autres utilisateurs, dont les citoyens ordinaires que nous sommes.

Éloigner ces substances de nos demeures est un objectif louable, mais essentiellement irréalisable à court terme.

La tragédie de Lac-Mégantic nous amènera sans doute à nous attaquer au transport ferroviaire avant tout, mais il ne faudrait pas tomber dans le piège d'y voir une opportunité de rendre ce dernier plus difficile au point où des matières dangereuses pourraient se trouver ainsi déplacées vers d'autres modes de transport encore moins sécuritaires.

Nous avons l'occasion de réfléchir globalement au meilleur moyen d'assurer une gestion des risques rigoureuse et sensée des matières dangereuses dans notre société. Le Canada accuse un retard important par rapport à d'autres pays de l'OCDE dans ce domaine.

Il est grand temps pour nos trois paliers de gouvernement, dont les juridictions se recoupent et causent parfois de la confusion, à l'aide des partenaires du secteur privé et académique, de se pencher conjointement sur ce sujet et de rendre le Canada, le Québec et les municipalités locales plus sécuritaires pour les citoyens.

La prospérité économique ne doit pas passer par un relâchement des règlements et des lois. Il y a des limites à l'autogestion par le secteur privé des règles de sécurité. La tragédie de Lac-Mégantic en fait foi. Quelques pistes d'action se profilent déjà.

1. Au niveau fédéral, tous les règlements touchant le transport des matières dangereuses doivent être revus, que ce soit par pipeline, camion, rail ou voie maritime. On pourra aussi améliorer la réglementation sur les urgences environnementales pour y intégrer des éléments de gestion des risques par les installations qui possèdent des matières dangereuses.

2. Au niveau provincial, il est grand temps d'adopter la règlementation prévue à la Loi sur la sécurité civile et à la Loi sur la sécurité incendie depuis plus de 10 ans déjà pour tout ce qui touche les risques technologiques majeurs, dont font partie les matières dangereuses. Les règles d'aménagement et d'urbanisme doivent aussi prendre en compte les risques associés aux matières dangereuses présentes dans nos municipalités. La CSST pourrait aussi mettre en place une réglementation sur la gestion des matières dangereuses dans nos usines, comme le font les Américains depuis près de 30 ans.

3. Au niveau municipal, la gestion de l'urbanisme, la communication des risques et l'organisation des mesures d'urgence doivent être renforcées. Les citoyens pourront être appelés à y participer activement via des comités de planification concertée modelés sur les comités mixtes municipalité-industries, dont l'efficacité n'a plus à être démontrée tant les exemples abondent.

Tous ces changements demanderont un effort concerté et global qui s'échelonnera sans doute sur plusieurs années. On peut cependant y arriver via un groupe de travail multipartite qui serait chargé par les gouvernements impliqués de faire des recommandations précises à nos élus.

Faisons de la tragédie du Lac-Mégantic une occasion de resserrer nos règles de gestion des matières dangereuses en collaboration entre tous les intervenants. On le doit aux personnes décédées et aux survivants.

J'espère qu'on se souviendra un jour que, tout comme l'accident de la mine Westray l'a été pour les amendements au Code criminel de 2004, la tragédie de Lac-Mégantic aura été un tournant pour l'amélioration des règles de gestion des matières dangereuses au Canada, de leur fabrication à leur élimination.