C'est un truisme de dire que la crise qui secoue le Sénat affecte la crédibilité de cette institution. Ici et là, des voix s'élèvent pour en réclamer l'abolition. Il y a un danger, ici, de jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce n'est pas parce que quelques sénateurs se sont montrés indignes de leur fonction qu'il faut pour autant condamner toute la Chambre haute.

Les abolitionnistes ne mesurent sans doute pas les difficultés qui les attendraient s'ils tentaient de mettre leur dessein à exécution. Toute abolition du Sénat requerrait l'application d'une modalité complexe de modification constitutionnelle.

À ce propos, les experts ne s'entendent pas entre la procédure dite du 7/50 et celle de l'unanimité, mais on conviendra que l'une et l'autre sont très exigeantes. À cela s'ajoutent un certain nombre de contraintes paraconstitutionnelles, dont celles découlant de la Loi concernant les modifications constitutionnelles, une loi fédérale qui transforme la procédure du 7/50 en une procédure 7/93, c'est-à-dire en une procédure reposant sur le consentement de la Chambre des communes, du Sénat (qui n'aurait toutefois en la matière qu'un veto suspensif de 180 jours) et d'au moins sept provinces représentant au moins 93% de la population canadienne.

Il y a donc fort à parier que l'abolition du Sénat ne se fera pas à court ou à moyen terme, à moins de vouloir rouvrir la négociation constitutionnelle.

À défaut d'une abolition du Sénat, peut-on envisager sa réforme? Cette dernière dépendra des réponses que fourniront la Cour d'appel du Québec et la Cour suprême du Canada aux questions qui leur sont actuellement posées par les gouvernements du Québec et du Canada.

Si la Cour suprême devait s'en tenir à l'esprit du renvoi sur la Chambre haute qu'elle a rendu en 1979, il devrait n'y avoir que très peu de choses que le Parlement du Canada puisse apporter des modifications sans le consentement des provinces. Selon ce renvoi, toute caractéristique essentielle du Sénat devrait échapper aux pouvoirs unilatéraux fédéraux. Seuls des aspects secondaires et limités du Sénat pourraient être modifiés par le Parlement ou le gouvernement canadien de leur propre chef.

Parmi ces changements secondaires pourraient figurer un resserrement du contrôle des dépenses des sénateurs, l'adoption d'un code d'éthique et de directives plus claires, une vérification plus stricte de leur domicile et une bonification du processus de nomination. Dans ce dernier cas, on pourrait mettre en place un comité de gens crédibles, objectifs et autant que possible sans affiliation politique, conseillant le premier ministre dans le choix des candidats.

On pourrait aussi songer à confier au Sénat des mandats d'enquête précis, à l'image de ce qui se fait aux États-Unis. Enfin, on pourrait y assouplir la ligne de parti, ce qui ajouterait à son indépendance.

Dans un pays aussi grand et diversifié que le Canada, il est loin d'être inopportun d'avoir une deuxième instance qui examine les projets de loi fédéraux. La très grande majorité des fédérations du monde, sinon toutes, possèdent une chambre haute ou l'équivalent.

Au risque de heurter l'opinion publique dominante au Québec, laquelle semble souhaiter l'abolition du Sénat, sinon l'élection des sénateurs, je considère que le Sénat est, même avec son mode nominatif actuel, utile et plein de potentiel. 

Entre autres, il est possible d'y nommer des personnes provenant de milieux minoritaires ou représentant des intérêts minoritaires dans la société canadienne, personnes qui n'auraient aucune chance de se faire élire si le mode de sélection des sénateurs devenait directement ou indirectement électif.

Bien que l'abolition du Sénat soit une idée séduisante par les temps qui courent, le Québec ne devrait pas y adhérer. Il devrait plutôt promouvoir la réforme du Sénat en une Chambre des provinces, ce qu'il n'a jamais vraiment été. 

Ainsi, le Sénat aurait certes des pouvoirs réduits par rapport à ceux dont il dispose présentement, mais les sénateurs seraient néanmoins désignés par les législatures ou gouvernements provinciaux eux-mêmes.