À l'occasion d'interventions récentes, Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, a dévoilé les idées maîtresses de ce que pourrait être son projet de charte sur les valeurs québécoises. Je m'appuie sur un point de presse donné à l'Assemblée nationale le 15 mai, un entretien avec Denis Lévesque, le même jour, et une entrevue accordée au Devoir le 26 mai.

En dépit des intentions louables du ministre, je crains que l'effet de ses initiatives soit contraire à celui qu'il recherche.

M. Drainville veut mettre de l'ordre dans les accommodements. Tout le monde, dit-il, doit suivre les mêmes règles. Mais le but des accommodements n'est-il pas de faire en sorte que tous les citoyens bénéficient des mêmes droits, que tous soient égaux devant la loi?

Le ministre dénonce «l'accumulation» récente des dérapages qui «minent» la paix sociale. On aime à croire que M. Drainville s'appuie ici sur des études solides livrant une connaissance précise du terrain. Pourrait-il les identifier? L'affirmation donne à entendre que la mécanique des accommodements est détraquée. Mais si c'est le cas, ne serait-il pas plus sage de la redresser plutôt que de faire un sondage dans la population qui révèle une forte perception négative que nous connaissions déjà?

Le ministre dénonce le «cas par cas» qui serait une source d'arbitraire, laissant entendre qu'une bonne loi y mettrait fin. Mais existe-t-il une seule loi qui soit si détaillée qu'elle fournisse la solution à toutes les situations où des normes et des droits se trouvent en compétition? S'il était possible d'édicter pareilles lois, à quoi serviraient les tribunaux? N'est-ce pas précisément leur fonction que de trancher entre diverses interprétations possibles d'une loi à la lumière d'une situation particulière?

Selon le ministre, les décideurs institutionnels opéreraient dans une sorte de vide en termes de balises et de critères de décision. N'est-ce pas faire fi d'une manière surprenante de l'immense travail qui s'est fait dans les institutions depuis quelques années, notamment des guides et procédures rigoureuses qui ont été élaborés?

Enfin, en rouvrant ce genre de dossier, M. Drainville ne craint-il pas de recréer le climat empoisonné qui a engendré la crise des années 2007-2008? N'avons-nous donc rien appris des déchirements et des dangereux emportements auxquels elle a donné lieu?

M. Drainville affirme que l'égalité homme-femme est bafouée par les accommodements. Encore une fois, où sont les preuves? Une nouvelle charte, nous dit-il, assurerait une protection adéquate de l'égalité homme-femme. Mais cette valeur est déjà hautement affirmée dans la charte actuelle des droits et libertés de la personne, d'abord comme droit fondamental, ensuite comme clause interprétative. Qu'est-ce qu'une nouvelle charte y ajouterait?

Le ministre souhaite que le Québec officialise ses valeurs communes; ainsi, les immigrants n'auraient pas le choix de les respecter. Cet énoncé suppose que ce n'est pas le cas présentement. Les seules études que je connaisse sur ce sujet établissent qu'au contraire, les immigrants adhèrent très largement aux valeurs québécoises. M. Drainville dispose-t-il d'autres études? Enfin, concernant la nécessité d'une charte additionnelle pour faire respecter nos valeurs, quelles sont celles qui ne se trouvent pas déjà dans la Charte des droits et libertés - à l'exception de la séparation de l'État et des Églises qui pourrait faire en effet l'objet d'un ajout?

Selon M. Drainville, il n'existe pas de crise présentement au Québec sur le terrain des accommodements. Il dit agir par prévention. Dans cet esprit, où réside l'urgence en matière d'immigration et d'intégration? Le ministre a-t-il considéré qu'elle pourrait se trouver ailleurs?

Le grand défi de l'intégration des immigrants se pose partout de façon radicale avec les enfants d'immigrants. Bien qu'intégrés culturellement grâce à l'école, plusieurs d'entre eux n'arrivent pas à s'insérer économiquement et socialement. Ils en viennent à percevoir ce blocage comme un bris de contrat.

Une partie de cette génération glisse dans la pauvreté et, à moyen terme, on voit apparaître le phénomène des «banlieues», telles qu'on le connaît dans plusieurs villes de France. On le voit exploser même en Suède où 80% des habitants des quartiers en colère sont des immigrés. Et faut-il rappeler que le Québec lui-même a connu son Montréal-Nord?

Une gouvernance sage ne devrait-elle pas conduire à faire de ce problème la véritable priorité du gouvernement en matière d'intégration?