Le recours aux travailleurs étrangers temporaires venus, dit-on, occuper des postes qui étaient auparavant occupés par des Canadiens, fait couler beaucoup d'encre depuis quelques jours. Ce détournement honteux d'un programme fort utile pour les entreprises d'ici a, certes, permis de braquer les projecteurs sur un programme méconnu, mais a, hélas, fait ressortir des mythes et des perceptions qui sont aux antipodes de la réalité.

Malgré la présence de près de 1,4 million de chômeurs au Canada en mars, plusieurs entreprises du pays sont aux prises avec un manque réel de main-d'oeuvre. Cette pénurie se manifeste autant pour des emplois spécialisés que pour du travail journalier. Comme le soulignait avec justesse le columnist Jean-Philippe Décarie (La Presse, 11 avril), que peut faire une entreprise lorsqu'elle est incapable de pourvoir à ses postes de soudeurs ou de machinistes à partir du bassin de travailleurs locaux? Doit-elle se résoudre à fermer ses portes? Le programme des travailleurs étrangers temporaires est virtuellement son unique porte de sortie.

Selon les données de Citoyenneté et Immigration Canada, les employeurs canadiens ont embauché en 2011 plus de 190 000 travailleurs temporaires, pour la plupart, des étudiants ou professeurs en échange, des professionnels, des travailleurs spécialisés et non spécialisés. Dans cette dernière catégorie (non spécialisés) entrent les travailleurs agricoles.

L'an dernier, plus de 8000 travailleurs sont venus du Mexique, du Guatemala et des Antilles pour assurer la production maraîchère, fruitière et animale sur les fermes du Québec. Sans la présence de la main-d'oeuvre étrangère, la production agricole québécoise s'effondrerait, ni plus ni moins. Cette main-d'oeuvre demeure, sans l'ombre d'un doute, vitale pour les producteurs agricoles parce qu'elle leur permet de produire. Sans elle, de nombreux agriculteurs seraient carrément contraints de cesser leurs opérations. Exit alors le développement de notre agriculture québécoise, les efforts consentis en matière de recherche et développement agroalimentaire, et le maintien de notre approvisionnement en produits frais de la terre.

Dans un tel contexte, affubler ces travailleurs de qualificatifs tels «voleurs de jobs» ou «cheap labor» révèle une profonde méconnaissance de la réalité de ces travailleurs. S'ils viennent ici, c'est surtout parce que l'entreprise agricole a fait la démonstration, année après année, que les travailleurs locaux n'étaient pas en nombre suffisant pour lui permettre de combler ses besoins de main-d'oeuvre. Puis, une fois arrivés ici, leurs conditions de travail (incluant la qualité de leur hébergement), loin d'être laissées au hasard, sont hautement réglementées.

Bien qu'a priori séduisant, l'argument du salaire payé ne suffit pas à expliquer le manque d'intérêt pour ces emplois. Il convient de pousser plus loin. Même s'il s'agit de postes ne nécessitant aucune qualification, ils demeurent néanmoins très exigeants. À la ferme, les tâches sont physiquement ardues et les heures de travail sont longues. Qui plus est, la nature, contrairement à la plupart des entreprises, ne fonctionne pas selon des horaires réguliers. Quand les fruits et les légumes sont prêts, il faut les cueillir sous peine de les voir se dégrader. La même logique s'applique à l'égard des soins apportés aux animaux. À cela s'ajoute l'éloignement des entreprises agricoles qui, situées hors les grands centres urbains, rend la main-d'oeuvre locale encore plus rare.

Nous applaudissons l'intention du gouvernement de s'assurer que le programme ne serve uniquement qu'à combler des besoins temporaires de main-d'oeuvre et, ce faisant, de procéder aux réformes requises. Gardons à l'esprit toutefois que les cas d'abus décriés récemment sont exceptionnels. Résistons à l'envie de tout confondre. Un examen attentif de la situation, devenu nécessaire, devra cerner les réalités propres à chaque secteur de l'activité économique, dont celui de l'agriculture.