Pour la crise bancaire à Chypre, l'Europe n'a pas opté pour une solution de type fédéral, comme une union bancaire qui aurait étalé la facture sur l'ensemble des citoyens de la zone euro. On a plutôt créé deux précédents importants: imposer des pertes aux déposants des banques en question, d'une part, et un contrôle temporaire des capitaux qui limitent les retraits bancaires et les virements à l'étranger, d'autre part.

À ce sujet, l'une des nombreuses craintes que les Chypriotes peuvent avoir est le caractère temporaire des contrôles, puisque souvent, il n'y a rien de plus permanent qu'une mesure temporaire. L'impôt sur le revenu des particuliers en est un bon exemple...

Quoi qu'il en soit, et c'est ce qui est le plus important, un message est passé clairement: lors d'une prochaine crise semblable, les gouvernements, celui sans moyens du pays en difficulté et ceux des autres pays de la zone euro, ne viendront plus à la rescousse des banques privées en déroute; à leurs déposants de payer la note. Or, cela ne peut que créer une logique par laquelle les épargnants ne rechercheront plus un retour sur leurs dépôts mais... le simple retour de leurs dépôts, hors de ces banques dysfonctionnelles.

Ce risque d'inciter la population des pays en difficulté de la zone euro à garder leur argent à l'extérieur des banques est particulièrement élevé en Grèce, qui a essentiellement fait défaut sur sa dette publique, et en Espagne, où l'on note l'éclatement de la bulle immobilière.

Pour les épargnants, la réalité est aussi claire qu'une consigne: à la première rumeur d'une difficulté de votre banque, retirez votre argent si vous voulez le revoir. Et pour les institutions bancaires déjà aux abois, des retraits massifs de capitaux augmentent la probabilité de faillite.

En fin de compte, le spectre d'une nouvelle crise financière va hanter l'Europe, et de deux façons, car le risque est plus élevé non seulement pour de nouvelles crises bancaires et fuites de capitaux, mais aussi pour la sortie d'un pays en difficulté de la zone euro. En fait, c'est la viabilité de l'euro comme monnaie unique qui est mise en jeu. Avec des crises comme celle de Chypre, comment espérer une croissance économique, même à long terme? Moins les banques sont fonctionnelles et plus la tentation de sortir de l'euro est grande, puisque la dévaluation de la monnaie qui s'ensuivrait pourrait permettre la croissance. Jamais, en fait, cette tentation n'aura été aussi grande.

Par bien des aspects de la situation actuelle, qui se résume à une crise de confiance majeure, l'euro imaginé à ses débuts n'existe déjà plus: on contrôle les mouvements de capitaux en Europe; le crédit est plus limité que jamais, ce qui étouffe la croissance; les entreprises de la périphérie payent des taux d'intérêt plus élevés qu'en Allemagne ou en France, ce qui émascule la banque centrale européenne; les flux transfrontaliers sont en forte baisse. Sans compter les banques centrales des pays émergents qui réduisent leurs réserves en euros, rendant l'objectif de créer une devise de réserve internationale plus difficile à atteindre.

Il y a tout juste 5 ans, en janvier 2008, Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale Européenne, célébrait l'entrée de Chypre dans la zone euro en notant que «l'adoption de l'euro offre une protection contre la crise financière internationale, qui a souvent un effet disproportionné sur les économies de petite taille.» Nous n'avons manifestement pas la monnaie unique que les fondateurs avaient imaginée.