Le conseil d'administration du Centre universitaire de santé de McGill (CUSM) incluait plusieurs administrateurs d'expérience dont notamment MM. Claude E. Forget, Raymond Royer, Calin Rovinescu (Air Canada) et l'ex-patron de Radio-Canada, Robert Rabinovitch. Pourquoi ces membres chevronnés ont-ils laissé les déficits s'accumuler au CUSM, d'autant plus que l'Agence régionale de la santé et des services sociaux chargée de superviser le CUSM était aussi présente au conseil (M. Marc Courtois)?

Un conseil, tout expérimenté et légitime soit-il, doit relever un défi de taille lorsqu'il fait face à un PDG très fort qui, naturellement, possède plus d'informations sur l'organisation que la moyenne des membres du conseil.

À son arrivée, le Dr Porter jouissait d'une réputation extraordinaire. Ce jeune Africain diplômé de Cambridge et bardé d'un MBA d'une université du Tennessee avait travaillé dans plusieurs hôpitaux ontariens. Dans un très grand hôpital de Detroit, il s'était fait remarquer par sa solide gestion des coûts. Le gouverneur du Michigan et même le président George W. Bush lui avaient confié des mandats prestigieux. Cet oncologue brillant était associé à la publication de 300 travaux scientifiques et siégeait lui-même au comité de 13 publications savantes.

Plusieurs membres du c.a. s'estimaient privilégiés d'avoir accès au talent d'un tel gestionnaire et tous étaient prêts à appuyer ce dynamique directeur général, à le défendre contre ceux qui auraient osé remettre en question les plans du Dr Porter.

Pas surprenant de lire les constatations du Rapport d'experts sur l'analyse des règles de gouvernance et de la gestion financière du CUSM: «Le style de gestion de l'ancien directeur général a contribué à diminuer l'information nécessaire au bon fonctionnement du conseil d'administration tout en empêchant la collaboration nécessaire entre les grandes directions. Le directeur général fournissait lui-même l'information au c.a. de façon verbale, souvent sans appui de documents solides et fréquemment sans recours à l'expertise de ses cadres supérieurs.»

Ceux qui étaient préoccupés par les dépassements budgétaires étaient vite apaisés par le fait que l'Agence régionale épongeait discrètement les déficits par des «contributions exceptionnelles» au CUSM. «L'Agence de santé et des services sociaux de Montréal a également manqué à ses devoirs de diligence et de suivi,» notent les experts en dénonçant la pratique de «faire des deals» par des prêts passerelles de l'Agence au CUSM. «Ces fonds ont été accordés sans critère précis, parfois sans documentation adéquate.»

Aucun membre individuel du c.a. ne pouvait constituer une opposition efficace au Dr Porter au sommet de son influence. Plusieurs scénarios auraient pu être envisagés pour corriger la situation. Le président du conseil, le sénateur W. David Angus, aurait pu signaler discrètement à M. Porter l'inconfort du conseil. Le comité d'audit ou un groupe d'administrateurs aurait dû prendre l'initiative de mener une certaine offensive pour un rappel à la rigueur budgétaire. Le représentant de l'Agence aurait pu prendre le leadership dans un mouvement de retour à l'équilibre budgétaire.

Le conseil doit avoir confiance dans son directeur général, sinon il le congédie. Mais comme l'a écrit Yvan Allaire, le président du conseil de l'IGOPP dans un texte intitulé Les paradoxes de la «bonne» gouvernance, «le conseil ne possède aucun détecteur d'intégrité ni aucun système d'alarme pour lui indiquer que la direction, naguère intègre et méritant pleinement sa confiance, a récemment succombé aux pressions et tentations et commis des actes imprudents, voire frauduleux.» (Forces, novembre 2005)

Devant un PDG auréolé par des succès passés, le conseil doit se montrer ferme et astucieux pour assumer son rôle de contrepoids et de «challenger» devant un management qui a une bonne longueur d'avance sur le plan de l'information.