Le sprint final qui devait se terminer en décembre dernier s'éternise, et une entente Canada-Europe se fait attendre. Sans surprise, ce feuilleton qui dure depuis 2009 s'achève, mais traîne en longueur. Un terrain d'entente concernant les articles liés à l'agriculture et l'alimentation, des volets souvent névralgiques lors de négociations de libre-échange, reste à définir.

Selon certaines sources, le Canada permettrait à l'Union européenne d'exporter davantage de fromage au Canada. En retour, l'Europe assouplirait ses politiques à l'importation afin de permettre aux industries bovine et porcine de se tailler une plus grande part de marché.

Le spectre d'une telle entente en préoccupe plusieurs, y compris le gouvernement québécois et la redoutable Union des producteurs agricoles du Québec. L'UPA soutient qu'une telle ouverture mènerait l'industrie agricole vers la catastrophe. Les Européens peuvent déjà exporter plus de 13 000 tonnes de fromage par année au Canada, ce qui représente plus de 60% du marché à l'importation dans ce secteur. Leurs exportations pourraient facilement tripler s'il y a une telle entente.

Pendant qu'Ottawa continue de déployer sa stratégie pro-échangiste afin d'amoindrir notre dépendance économique envers les Américains, le Québec s'inquiète. Pour la Belle Province, une toute petite concession qui affaiblirait le régime absolutiste de la gestion de l'offre ouvrirait la porte, plus tard, à une réforme importante de notre système de quotas de production agricole. Depuis plusieurs années, nos marchés laitiers et avicoles, entre autres, sont protégés par des tarifs à l'importation dépassant les 200% et par un système de quotas restrictifs. Depuis plusieurs décennies, la ligne dure prévaut.

Pour le Québec, l'enjeu est gigantesque. Les secteurs sous gestion de l'offre contribuent à 40% des recettes agricoles de la province, soit plus de 7 milliards de dollars. Pour l'Ontario, l'enjeu économique est sensiblement le même. Mais contrairement au Québec, l'Ontario reste pratiquement muet à l'égard des pourparlers avec le vieux continent.

Pendant que le monde se métamorphose de toutes parts, le Québec mise sur l'inertie. Avec l'Ontario qui semble se résigner à des changements éventuels, le Québec semble faire cavalier seul à l'aube d'une entente historique qui permettrait au Canada de devenir le premier pays au monde à faire partie de deux ententes de libre-échange continentales (ALENA et EU). Désormais, on choisit de passer à côté d'une opportunité inouïe pour la filière agroalimentaire québécoise, pourtant reconnue pour son esprit entrepreneurial sans égal.

En revanche, il y a certaines entreprises québécoises qui font fi de la rhétorique du fatalisme. Prenons Saputo. En janvier, l'entreprise de transformation fromagère montréalaise faisait un pas de géant aux États-Unis, en acquérant le producteur de produits laitiers Morningstar Foods pour 1,45 milliard US. Cette transaction permettait à Saputo d'accroître son bénéfice de 12%. Plus important encore, Saputo dispose dorénavant d'une superbe plateforme pour exporter des produits américains au Canada et de contrecarrer les effets néfastes de notre forte devise. L'approvisionnement de matières premières à bon prix devient également plus facile, si jamais le régime canadien de tarifs exorbitants cesse.

Saputo a compris qu'il fallait passer à autre chose. Malgré sa beauté et son charme, le Québec ne compte que 8 millions d'habitants. Depuis des années, les politiques agroalimentaires québécoises gonflent subjectivement les prix alimentaires afin de permettre aux recettes agricoles de se maintenir à un niveau raisonnable pour les producteurs agricoles.

Mais la province vieillit, et elle compte un bon nombre de personnes ayant un revenu fixe. Augmenter les prix sur le marché domestique n'est pas une option enviable pour plusieurs. Pour croître, l'accès à d'autres marchés est indispensable pour le Canada, mais surtout, pour le Québec.