Le sommet sur l'éducation approche à grands pas. Les recteurs clament toujours que nos universités sont sous-financées. De leur côté, les associations étudiantes et le gouvernement accusent ces derniers d'avoir créé cette situation de toutes pièces. Ils leurs reprochent notamment une mauvaise gestion budgétaire et des détournements de fonds.

L'écart entre la position des universités et celle des autres acteurs du sommet ne cesse de se creuser. Les perspectives de ce qui se voulait une grande rencontre nationale au sujet de l'éducation semblent de plus en plus sombres.

Certains, notamment le chroniqueur de The Gazette Henry Aubin, proposent la création d'un système universitaire à deux vitesses. Certaines universités factureraient des droits de scolarité plus élevés et seraient dédiées à l'excellence internationale et à la recherche (il propose notamment McGill et l'Université de Montréal), d'autres se contenteraient d'offrir une formation solide et abordable (l'UQAM et Concordia). Il prétend qu'ainsi, on pourrait satisfaire tout le monde. Les étudiants de milieux moins nantis auraient accès à une éducation abordable et le Québec pourrait tout de même compter sur des universités de calibre international.

Si cette idée semble faire son chemin dans les milieux anglophones, beaucoup moins attachés à la vache sacrée de l'accessibilité à l'éducation, on n'en trouve pas encore écho dans la presse francophone. Et c'est tant mieux. 

Sous le couvert du compromis, cette suggestion est encore un moyen de maintenir, sinon d'accroître, les inégalités déjà grandes entre les étudiants de milieux nantis et ceux de milieux plus modestes. Je vois dans cette proposition une autre attaque de l'élite économique contre la classe moyenne.

Le pouvoir d'achat de la classe moyenne ne cesse de reculer. Les salaires croissent à un rythme nettement inférieur à l'inflation et la plupart des économistes s'entendent pour dire que cette tendance ne fera que s'accentuer au cours des prochaines années. Les étudiants de milieux pauvres et de la classe moyenne terminent, dans une énorme proportion, leurs études endettés de plusieurs milliers de dollars. En plus de se voir obligés de travailler pendant leurs études, ce qui affecte à la baisse les résultats scolaires, ils devront rembourser leurs prêts étudiants pendant plusieurs années après l'obtention de leur diplôme.

Quand on sait qu'un diplôme universitaire est de moins en moins garant d'un emploi bien rémunéré, la tentation de se tourner vers l'apprentissage d'un métier est d'autant plus forte. Ceux qui persisteront quand même à faire des études supérieures se verront constamment défavorisés sur le marché du travail face aux diplômés des universités plus dispendieuses.

Le chroniqueur du Journal de Montréal Richard Martineau laissait entendre, dans une récente chronique, que de pousser notre jeunesse vers l'apprentissage de métiers serait une bonne manière de combattre le chômage qui découle de la délocalisation d'emplois spécialisés vers l'étranger. Ce serait surtout un bon moyen de s'assurer que chacun se tienne bien à sa place. Les pauvres aux travaux manuels et les riches comme élite intellectuelle. 

Il ne faut surtout pas oublier que l'université n'est pas destinée qu'à être une machine à produire des employés. C'est aussi un lieu où l'on développe son raisonnement, son esprit critique, où l'on apprend les forces, politiques, économiques et scientifiques qui régissent notre univers. Un lieu où l'on apprend ce qui nous permettra de poser un regard informé sur la société dans laquelle nous vivons.

Proposer une université à deux vitesses, ce n'est pas seulement mettre en péril un des principaux piliers qui font du Québec une des sociétés occidentales où les inégalités sont les moins marquées. C'est agrandir dangereusement le fossé qui sépare de plus en plus les mieux nantis du reste de la population. Espérons que nous ne serons pas dupes.