Pour expliquer des tragédies comme celle s'étant déroulée à Newtown en décembre dernier, on fait souvent référence à l'accessibilité des armes à feu aux États-Unis. Sans de telles armes, il serait en effet  impossible à un assaillant de faire autant de victimes en aussi peu de temps.

Cette accessibilité s'explique par la culture des armes à feu que l'on dit basée sur le second amendement de la Constitution. Suivant celui-ci, le gouvernement ne peut désarmer la population qui doit garder les outils nécessaires à sa propre défense face à une menace extérieure ou face au gouvernement fédéral. Une fois ceci établi, comment expliquer l'engouement d'un segment de la population américaine pour les armes de type militaire? Cette passion récente s'explique par un effort de mise en marché de l'industrie de l'arme à feu aux États-Unis.

Contrairement à la perception populaire, plusieurs études récentes démontrent que depuis les années 1980, la proportion des Américains possédant une arme à feu diminue. En 1973, une maisonnée sur deux avait une arme à feu, la proportion tombant à une sur trois en 2010. En 1980, un Américain sur trois possédait une arme à feu alors qu'en 2010, un Américain sur cinq en possédait une.

Face à ce déclin, l'industrie de l'arme à feu aux États-Unis change de stratégie afin de mousser les ventes et ce, suivant deux axes. Elle commence par appuyer tous les groupes qui, comme la NRA, demandent une baisse de la réglementation des armes à feu et défendent le port d'arme. Plus important, elle change la mise en marché des armes à feu en mettant non pas l'accent sur les armes de chasse, mais plutôt sur les armes militaires comme le Bushmaster .223, afin d'augmenter ses ventes. Bref, depuis les années 1980, il y a militarisation du marché de l'arme à feu aux États-Unis par cette industrie.

La militarisation du marché de l'arme à feu a suivi plusieurs avenues. Pensons à la possibilité  de personnaliser une arme, idée initialement mise en place au XIXe siècle par l'inventeur du revolver, Samuel Colt.

Plus importante est toutefois l'entrée de l'industrie sur la scène culturelle via le cinéma, la télévision et plus récemment, les jeux vidéo. Ceci permet non seulement de lancer sur le marché de nouveaux produits, d'avoir de la visibilité, mais surtout de lier une arme particulière à un personnage et ainsi lui donner une aura dépassant sa simple efficacité.

Dans cette optique, l'expérience de la firme italienne Beretta est particulièrement révélatrice. Au cours des années 1980, celle-ci a réussi à obtenir le contrat de fourniture du pistolet de base de l'armée américaine. Pour le directeur du bureau américain de l'époque, ceci n'est que la première étape de sa stratégie de mise en marché destinée à faire de Beretta une marque « américaine ». À partir de ce moment, la publicité affirme que si l'arme est bonne pour l'armée, elle est bonne pour le public. Le Beretta 92F, utilisé par l'armée fait aussi son apparition au cinéma dans plusieurs blockbusters particulièrement populaires.

À cet égard, les trois premiers films Die Hard illustrent comment l'industrie associe des héros à ses armes militaires et servent de vecteurs de mise en marché. Dans le premier film (1988), le policier newyorkais John McClane (Bruce Willis) et son Beretta sont la dernière ligne de défense contre des terroristes si bien équipés que même la police ne peut rien faire. Le film présente plusieurs situations dans lesquelles McClane montre les performances de son arme, comme lorsqu'il tue un terroriste en vidant son chargeur de 15 balles à travers d'une table. Preuve de l'importance du pistolet, la gaine du héros dans le troisième film devient de plus en plus élaborée. Au fil des films de la série, l'arme se porte avec style et n'est plus simplement un objet utilitaire. La campagne a été efficace, Beretta étant maintenant une marque courante aux États-Unis.

Pour l'industrie de l'arme à feu donc, le divertissement et la culture sont des vecteurs de publicité. Lorsque nous regardons un film, il est facile de voir des publicités de voitures ou de vêtements. Cependant, pour l'amateur d'armes à feu, des films comme Die Hard, Inception ou Skyfall servent de publicités pour les derniers modèles.

Le même processus s'applique aux jeux vidéos. Certains jeux non seulement mettent l'accent sur le réalisme de la représentation des armes utilisées par les joueurs, mais donnent aussi les liens internet permettant de consulter les pages web des fabricants. Ce type de publicité est d'autant plus efficace qu'elle dépasse le marché américain.

La culture des armes à feu est donc un phénomène récent et construit à des fins lucratives. Les films et les jeux vidéo ne sont pas directement liés aux tragédies survenues ces dernières années aux États-Unis. Ils font toutefois partie d'une stratégie de mise en marché mettant l'accent sur la possession d'armes militaires dont le degré de désirabilité est, comme une voiture sport, jugée non pas en fonction de l'utilité, mais des performances et de leur létalité. Ce sont ces armes militaires très efficaces qui  rendent possible les massacres.

L'industrie de l'arme à feu aux États-Unis va continuer à défendre le droit de posséder des armes militaires et à en faire la publicité, car elle considère qu'il s'agit du seul moyen d'assurer sa rentabilité. Espérons qu'ici, le gouvernement restera strict et que les armes resteront sur les écrans.