Un système de collusion ne peut être mis en place que si un marché spécifique est fermé à un nombre limité d'entreprises ou de personnes offrant un service ou un produit. Dans la majorité des secteurs d'activité de la construction, il n'y a pas beaucoup de collusion parce qu'en général, plusieurs entreprises qui se qualifient pour les contrats publics sont en compétition.

En ce qui a trait aux secteurs plus spécifiques des égouts, conduites d'eau, trottoirs et réfection de routes (dont il est question à la commission Charbonneau), ils sont normalement prisés par un grand nombre d'entreprises et, si on exclut les contrats atypiques ou de grande envergure qui s'adressent à un petit nombre d'entreprises, il est presque impossible d'y organiser un système de collusion.

À Montréal, le système de collusion n'aurait pas été possible sans que le marché soit fermé et «protégé» par le crime organisé. C'est d'ailleurs la seule variable qui a rendu possible la collusion et la montée des prix!

Pour la plupart des contrats octroyés par appel d'offres, un groupe d'entrepreneurs aurait beau essayer de soudoyer tout ce qui bouge chez le donneur de travail dans le but de s'entendre sur un prix plus élevé, si un seul entrepreneur est en compétition avec ce groupe et dépose sa soumission librement, la collusion ne fonctionne pas. Le plus bas soumissionnaire conforme obtiendra le contrat. Et c'est parfait comme ça!

Bien sûr, il serait possible pour le concepteur de plans et devis «complice» d'ajouter des exigences auxquelles seulement une ou deux entreprises peuvent satisfaire, mais cette manière de faire laisse des traces et peut plus difficilement s'ériger en système. Ce genre de stratagème s'est déjà vu dans le passé et les entrepreneurs exclus ont rapidement dénoncé cette situation haut et fort au donneur de travail, à leurs associations professionnelles ou aux médias.

Nos politiciens, qui sont sans doute de bonne foi, mais qui, individuellement, ne semblent pas bien comprendre les processus d'attribution de contrats et les réalités de l'offre, veulent faire adopter une loi qui aura comme principal objectif de rendre plus difficile l'obtention du statut «d'entreprise conforme» ayant le droit de réaliser des contrats publics.

Sur le fond, j'achète! Mon inquiétude, c'est qu'en essayant de frapper trop fort, trop vite, la loi 1 fasse en sorte, avec un premier tri trop restrictif, d'enlever ce droit à un trop grand nombre d'entreprises et ainsi créer une rareté dans plusieurs secteurs d'activités.

Plus les critères d'admissibilité seront sévères, moins il y aura d'entreprises qui auront le droit, ou envie, d'entreprendre une démarche de qualification donnant droit de soumissionner sur les contrats publics. Conséquence: moins il y a de soumissionnaires, plus la rareté de l'offre met une pression à la hausse sur les prix!

Plutôt que de retirer graduellement le droit de soumissionner à des entreprises ciblées ayant commis des infractions, le projet de loi retire virtuellement ce droit à toutes les entreprises du Québec qui devront, si elles désirent obtenir ce droit à nouveau, transmettre une demande formelle aux autorités incluant une attestation de conformité avec le ministère du Revenu du Québec.

Compte tenu du nombre de lois et de délits à prendre en compte pour administrer une décision donnant le privilège à une entreprise, on aurait pu procéder à l'inverse et laisser ce privilège en place pour le retirer de manière progressive aux entreprises délinquantes, en débutant bien sûr par celles ayant commis les pires délits. Ainsi, on éviterait le chaos administratif et légal engendré par une opération massive et trop précipitée.

L'objectif très honorable de la loi 1 consiste à ce que l'argent du peuple soit utilisé judicieusement et que les contrats publics soient octroyés de manière équitable, à des citoyens intègres et à des prix raisonnables. Si, au nom de l'intégrité, les autorités veulent frapper trop fort, trop vite, elles pourraient bien obtenir l'effet contraire! Jusqu'à maintenant, la commission Charbonneau a fait la démonstration que les prix des contrats se sont stabilisés à Montréal sans l'application de la loi 1.