Dans un reportage paru récemment dans La Presse, on fait état de l'implantation de la fameuse méthode Toyota dans les soins à domicile à Montréal par la firme Proaction. Dans l'article, on soutient que l'implantation est en train de mener au bord de la crise de nerfs infirmières, travailleurs sociaux et ergothérapeutes.

Dans les faits, ce dont il est question n'a rien à voir avec la méthode Toyota, mais concerne une pratique qui est celle du Lean, désincarnée de l'une des valeurs fondamentales de l'approche Toyota.

La philosophie d'affaires de Toyota est basée sur deux principes fondamentaux: le respect et l'amélioration continue. Chez Toyota, l'amélioration continue des processus se fait sur la base du respect que l'entreprise accorde à ses clients, à ses fournisseurs et à ses employés. Amélioration continue, oui, mais jamais au détriment du respect des personnes.

Ces dernières années, plusieurs entreprises de consultants qui voient dans l'approche Toyota une occasion d'affaires se sont appropriées certains de ses processus et ont fait valoir que les organisations qui les adopteraient allaient augmenter rapidement leur performance et leur efficience.

Ce que ces entreprises ont oublié, c'est que la méthode Toyota a du succès lorsqu'elle s'insère dans une culture d'entreprise qui est forte et dans les entreprises où règne un climat de travail sain. Elle ne trouve aucun succès dans les organisations où l'on observe une importante détresse psychologique et une très grande souffrance morale chez les employés, comme ce semble être le cas chez plusieurs employés du réseau de la santé.

Par ailleurs, l'approche Toyota, pour avoir du succès au sein d'une organisation, requiert que ceux qui veulent l'implanter aient une excellente connaissance de la culture organisationnelle et aient pu établir un profil de l'organisation en termes de gouvernance, de leadership, d'éthique, de pratiques, de traditions, etc.

Dans un ouvrage intitulé The Toyota Way to Lean Leadership, les auteurs font une sérieuse mise en garde en ce qui a trait à l'utilisation de consultants externes se disant experts de l'approche Toyota ou de la méthode Lean.

Le rôle traditionnel des consultants externes est de gérer un projet et de produire un plan d'action. À vrai dire, les consultants pensent à la place du client. Ils ont la prétention d'avoir l'expertise dans les méthodes dites Lean et garantissent qu'ils vont rendre l'organisation du client plus performante en éliminant toutes les tâches superflues et en standardisant le travail.

Toutefois, dans la réalité, l'apprentissage des nouvelles méthodes demeure avec les consultants et ce qu'ils laissent au terme de leur mandat est très fragile.

Les auteurs insistent sur le fait que les transformations que l'on veut apporter au sein d'une organisation pour en améliorer la performance doivent se faire sous la direction d'une personne, appelée sensei ou maître, qui agira comme un guide auprès des employés.

Dans le présent cas, de toute évidence, les consultants en processus Lean qui réussissent à amener au bord de la crise de nerfs les infirmières, travailleurs sociaux et ergothérapeutes d'une organisation, qui les épuisent et créent un climat de peur, opèrent en marge de la philosophie au coeur de l'approche Toyota.

En fait, ils sont à l'opposé de tout ce qui est au coeur de cette philosophie. Le ministre de la Santé et des Services sociaux a tout à fait raison de dire que ce qui est au coeur de la méthode Lean et, plus exactement, de la méthode Toyota est l'implication et l'écoute du personnel impliqué dans les services dans un climat de respect des valeurs de l'organisation et de toutes les personnes, personnel et patients.

Vouloir implanter dans un domaine comme les soins de santé des techniques sans la philosophie sous-jacente est non seulement voué à l'échec, mais peut être préjudiciable à la qualité des soins offerts.