La commission Charbonneau vient à peine de commencer ses audiences et n'a encore exposé qu'une infime portion des problèmes de corruption dans les marchés de travaux publics accordés par une petite partie des municipalités de la région métropolitaine.

Elle a quand même déjà réussi à démontrer les magouilles de quelques entrepreneurs et le comportement véreux de certains fonctionnaires et politiciens. Il reste des mois d'audiences à venir. Si le rythme et l'importance des révélations se poursuivent, le volume des crimes et malversations qu'on nous exposera sera énorme.

Le mandat global de la commission ne concerne pourtant que les marchés gouvernementaux de construction au Québec. Rien d'autre. Au terme de son enquête, nous n'en saurons pas plus long sur la corruption et la collusion qui pourraient exister dans des secteurs économiques où l'argent coule aussi à flots, comme la santé, l'éducation, la restauration, l'hôtellerie, les mines, le transport, et les services financiers. Il nous restera à imaginer ce qui s'y passe.

Imaginer ce qui s'y passe, en sachant que tout y est comme dans le secteur de la construction, que seules l'échelle et une partie des acteurs changent. Parce que le Québec sait. Depuis longtemps, chacun connaît une partie du problème, est témoin de facettes de la corruption à des degrés divers, dans différents secteurs de l'économie. Depuis longtemps, chacun entend l'autre raconter sa version, à mots couverts bien sûr. Mais chacun sait, sans besoin des preuves amassées par une commission d'enquête ou la police pour étayer sa conviction.

Et le Québec crie vengeance, on l'entend sur les tribunes comme dans les conversations privées. On veut châtier les coupables.

Devrons-nous nous contenter de punir seulement quelques acteurs du secteur de la construction: entrepreneurs, fonctionnaires, surveillants de travaux et dirigeants syndicaux? Leur ajouter, pour rendre l'exercice plus crédible, quelques politiciens et organisateurs politiques?

On sait pourtant bien qu'on n'obtiendra qu'un demi-succès si on compte sur la seule valeur exemplaire de la condamnation de quelques individus, reliés à un seul secteur économique, pour policer l'ensemble de l'économie, les syndicats, la fonction publique et la politique. Le demi-succès est souvent synonyme d'échec dans le temps, et la situation qu'on avait voulu éliminer se perpétuera, s'amplifiera même.

Nous ne pouvons tout simplement pas nous contenter d'un simulacre d'assainissement à ce moment de notre histoire.

Il faut enquêter sur les autres secteurs économiques susceptibles de corruption et punir les tricheurs des autres secteurs aussi. C'est le rôle de la police, à qui on doit donner les instruments nécessaires. Le coût en sera élevé, mais les économies qu'on retirera de l'assainissement nous laisseront, à n'en pas douter, un profit net. Profit qui sera augmenté de toutes les sommes qu'on pourra récupérer des tricheurs par le biais, entre autres, de l'impôt sur le revenu.

Il faut mettre en place des méthodes qui empêcheront la mafia de réinvestir les profits de ses activités criminelles dans des activités légales, l'empêchant ainsi de devenir puissante et respectable.

Il faut réfléchir aux raisons qui ont amené les politiciens et les partis politiques à se corrompre aussi aisément et profondément sans que jamais un observateur ne sonne l'alarme. Une analyse du problème, faite à la lueur de comparaisons avec d'autres démocraties du bloc occidental, suggère des éléments générateurs de corruption: présence de permanents influents dans les partis politiques, coût faramineux des campagnes politiques, existence de professionnels de la politique qui y font l'essentiel de leur carrière, trop grande proximité des pouvoirs exécutif et législatif, rémunération insuffisante des élus qui gèrent des responsabilités écrasantes et des budgets immenses.

Le Québec vit une période propice à des réflexions profondes. Nous nous sommes donné un gouvernement minoritaire assez impuissant pour ne nécessiter que peu de surveillance. Les partis marginaux que sont encore la Coalition avenir Québec et Québec solidaire rassemblent des forces ouvertes au changement. Un certain renouveau se pointe au Parti libéral. Les failles qu'on découvre dans les systèmes de notre démocratie interpellent l'opinion publique.

Profitons de cette période pour rechercher et mettre en place des solutions à long terme aux problèmes de corruption et de gouvernance que nous vivons.